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Par Jacques Sapir
L’appréciation du Rouble s’affirme depuis les premiers jours de février. Durant ces deux derniers mois, le Rouble s’est fortement apprécié, que ce soit par rapport au Dollar des Etats-Unis (USD) avec un gain de plus de 20% ou que ce soit par rapport à l’Euro (Eur) avec un gain de plus de 25%. Ces taux sont calculés sur la base des taux de change dits « de base », qui correspondent aux offres, à l’achat ou à la vente, exprimées en début de séance pour ces deux devises par la Banque Centrale. La différence d’appréciation recouvre les différences de mouvements entre le Dollar (qui s’est apprécié fortement face à l’Euro) et l’Euro. Compte tenu de la structuration du commerce international de la Russie où une large partie des exportations est comptabilisée en Dollars (hydrocarbures et autres matières premières) même si la monnaie de règlement peut être différente, et ou une partie importante des importations est comptabilisée en Euro, le gain pour la Russie apparaît évident.
Graphique 1
Source : Banque Centrale de Russie
Graphique 2
Source : Banque Centrale de Russie
Ces mouvements se manifestent alors que le prix du baril de pétrole n’a, pour l’instant, pas progressé. Ils traduisent l’existence de pressions haussières sur la devise russe qui traduisent le fait que la phase de forte spéculation contre le Rouble est terminée et que les investisseurs sont désormais attirés par une devise (et des titres financiers) largement sous-évaluée.
Cependant, cette tendance haussière doit être mise en perspective de la très grande dépréciation que le Rouble a connue depuis le début de 2014. Or, le Rouble était surévalué d’environ 15% au début de 2014. Il faut donc avoir en tête le niveau d’équilibre (du point de vue de la compétitivité de l’économie russe) du Rouble, et ceci d’autant plus que la très forte dépréciation a engendré une inflation importante. Ceci conduit aux deux graphiques suivants où l’on a représenté le niveau de taux de change correspondant à une dépréciation de -15% en mars 2014, actualisé du taux d’inflation que la Russie a connu de mars 2014 à mars 2015.
Graphique 3
Source : Banque Centrale de Russie
Graphique 4
Source : Banque Centrale de Russie
On constate alors que si l’écart de taux de change reste important entre le taux nominal et le taux réel d’équilibre pour le Dollar, on commence à se rapprocher dangereusement du taux d’équilibre par rapport à l’Euro. Deux remarques s’imposent : le pouvoir d’achat des consommateurs russes (pour des produits importés issus de la zone Euro) s’est donc fortement apprécié et, aujourd’hui, il semble comparable à ce qu’il était au début du mois de novembre 2014 ; par ailleurs, les effets positifs sur la production industrielle russe, et en particulier l’impulsion forte sur la substitution aux importations qui a tirée la production industrielle dans la seconde partie de l’année 2014 sont en train de disparaître. La stabilisation du Rouble s’imposera probablement dès la fin du mois d’avril, et la Banque Centrale semble d’ailleurs être en train d’acheter des devises. En effet, les réserves de changes, qui avaient perdues environ 60 milliards depuis le mois de novembre, sont en train d’augmenter fortement.
Graphique 5
Source : Banque Centrale de Russie
Les réserves ont atteint leur point le plus bas le 13 mars dernier avec environ 351 milliards de Dollars. Depuis, elles augmentent rapidement, et ont passé la barre des 360 milliards au 27 mars. On peut donc s’attendre à ce que le niveau des 420 milliards, qui était celui de novembre 2014, soit à nouveau atteint dès cet été. Mais, la contrepartie de ces achats de devises est l’injection de liquidités en roubles dans l’économie. Si cette injection sera favorable à l’économie, il faut aussi s’attendre à ce que les pressions inflationnistes se maintiennent à un niveau relativement élevé. La Banque Centrale sera obligé d’abandonner l’objectif des 6% d’inflation et devra très probablement viser une zone cible comprise entre 9% et 11% vers la fin de 2015.
Il est donc clair que la Russie émerge avec la zone troublée de forte spéculation contre sa monnaie. L’appréciation du rouble est désormais un phénomène bien établi, qui devrait se renforcer avec la hausse des prix du pétrole que l’on attendre dès cet été. Cette appréciation pourrait cependant poser quelques problèmes à l’industrie, ce qui implique que la Banque Centrale adopte une stratégie duale d’objectif d’inflation et d’objectif de taux de change réel.





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