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La politique étrangère ne souffre pas l’amateurisme dont notre classe politique et notre diplomatie donnent, hélas, quotidiennement l’exemple.
Dominique Jamet

Réussir une omelette sans avoir à casser des œufs, c’est le rêve, à ce jour encore inaccompli, de tout cuisinier – donc de tout diplomate. En attendant qu’il devienne réalité, la moindre des qualités que l’on attend d’un ambassadeur est qu’il soit plus proche du chat que de l’éléphant, en d’autres termes qu’il soit capable de se déplacer dans un environnement fragile sans fracasser au passage toute la porcelaine.

J’avoue tout ignorer des critères qui ont amené le président Obama à choisir un certain M. Shapiro pour être le ministre des États-Unis à Prague. Compte tenu des pratiques nord-américaines dans ce domaine, il est probable que M. Shapiro a contribué à alimenter les caisses du Parti démocrate. Vu sa conduite, il est clair que ce personnage, qui se fait apparemment une haute idée de son pays et de ses fonctions, n’est pas plus fait pour représenter celui-là que pour assumer celles-ci.

Apprenant que le président de la République tchèque, Miloš Zeman, assisterait le 9 mai prochain à Moscou aux cérémonies commémoratives de la capitulation du IIIe Reich, M. Shapiro, qui ignore peut-être que l’URSS a joué un certain rôle dans la défaite du régime nazi, mais qui a bien compris que M. Poutine n’est pas dans les petits papiers de son gouvernement et qui considère visiblement comme quantité négligeable le pays même auprès duquel il est accrédité, s’est permis de trouver « étrange » que M. Zeman ait accepté l’invitation du président russe.

À cette manifestation d’arrogance, le président tchèque a répondu comme il convenait. Il ne serait pas normal, a-t-il observé, que le représentant de la Tchéquie à Washington s’immisce dans le programme des voyages à l’étranger du président américain. Pour ce qui concerne M. Shapiro, qu’il sache que la porte du château de Prague lui est désormais fermée et qu’elle le restera tant que Barack Obama n’aura pas réparé l’affront en recevant l’ambassadeur de Tchéquie à la Maison-Blanche. On peut être le chef d’un État de second rang et avoir le sens et le souci de sa dignité.

Faut-il déduire de cet incident que la courtoisie doit l’emporter sur toute autre considération dans la pratique des relations internationales ? En aucune façon, et le pape François n’a pas hésité à qualifier de « génocide » le massacre d’un million et demi d’Arméniens, il y a cent ans, par la Turquie, au risque d’irriter Ankara, où l’on persiste à nier le crime et à en accuser implicitement les victimes. Voilà qui tranche, n’est-ce pas, avec la prudence et les manières feutrées que l’on prête ordinairement, non sans raison, à la diplomatie vaticane.

Au même moment, la Curie romaine prouvait pourtant qu’elle n’avait rien perdu de sa virtuosité légendaire dans la pratique du billard à deux ou trois bandes. Alors que le souverain pontife avait donné un signe non équivoque d’ouverture et de tolérance en s’interrogeant sur le droit qu’il aurait de juger et de condamner l’homosexualité, les bureaux du Saint-Siège opposaient un silence éloquent à la demande d’accréditation de l’ambassadeur nommé par Paris tout en faisant « fuiter » des indiscrétions sur les mœurs prêtées à notre représentant. « Étrange » attitude, peu compatible avec la déclaration du pape et avec la réalité. Sans disposer de données statistiques précises, il paraît assez peu vraisemblable que M. Stefanini soit le seul spécimen laïque ou religieux à Rome susceptible de pratiques sexuelles hétérodoxes. Il fut du reste un temps où les couloirs, les coulisses, les caves et les ors du Vatican abritaient volontiers des amours qui n’osaient pas dire leur nom. De Michel-Ange à Roger Peyrefitte, la liste en est fournie. Mais il ne s’agit pas de cela : en faisant barrage au diplomate français, c’est le pape lui-même et ses orientations novatrices dans ce domaine que vise une arrière-garde qui se veut gardienne de la tradition, et qui vient là de marquer un joli coup.

La politique étrangère ne souffre pas l’amateurisme dont notre classe politique et notre diplomatie donnent, hélas, quotidiennement l’exemple. Dernière bévue en date : à peine Hillary Clinton avait-elle annoncé sa candidature à la présidence des États-Unis, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et Christiane Taubira faisaient connaître leur soutien à l’ex et peut-être future première dame. Pourquoi pas, dira-t-on, et ce genre d’ingérence n’a rien d’exceptionnel. C’est exact, mais comment diable des professionnels de la politique intérieure aussi expérimentés n’ont-ils pas songé que, le jour venu et le cas échéant, un certain Jeb Bush saurait se souvenir de leurs prises de position ?

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