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Les morts de ce cimetière marin qu’est devenue la Méditerranée sont syriens, érythréens, soudanais, somaliens, gambiens, maliens mais c’est à un naufrage européen auquel on assiste au large de nos côtes. Naufrage européen car la lâche ambiguïté des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à l’égard de ce flot continu de désespérés entraîne toute l’Europe vers le reniement de ses principes fondateurs. Certes l’opinion publique est lassée de cette misère qui se déverse quotidiennement, mais elle est tout autant horrifiée de voir un enfant noyé, dans les bras de sa mère en larmes, le regard perdu sur un quai de Lampedusa. L’UE s’honorerait à conforter la noblesse de ce sentiment de compassion qui a toujours marqué l’histoire de l’Europe, terre d’asile. Nous sommes face à une urgence humanitaire, le renforcement des opérations européennes Triton et Poséidon doit viser une mission de sauvetage et non de refoulement.
Un tel nombre de réfugiés n’est évidemment pas gérable par l’Italie, Malte ou la Grèce. Pas plus que l’irruption de dizaines de milliers de réfugiés kosovars il y a une quinzaine d’années n’était gérable par les seules Autriche et Allemagne où ils se précipitaient. Les Quinze de l’époque avaient inventé un statut de réfugié temporaire, à charge pour les Etats membres de se répartir le fardeau, tant il est vrai qu’il n’y avait aucune raison qu’ils ne retournent pas chez eux une fois la paix revenue. La directive établissant ce statut stipule que l’asile temporaire doit être accordé « en cas d’afflux massif ». Il me semble que la situation actuelle répond à ce critère. Il est cependant temps que chacun participe à cette cause, car aujourd’hui treize Etats membres n’accueillent aucun réfugié, dont la Pologne, siège de Frontex et patrie du président du Conseil européen.
On ne peut pas continuer de subir sans réagir. L’UE a mené une opération militaire discrète mais efficace contre la piraterie sur les côtes somaliennes, elle doit entreprendre une action aussi radicale au plus près des côtes libyennes contre les réseaux de passeurs. Il faut détruire les navires-poubelles avant qu’ils ne servent à leur œuvre de mort. De même, nous devons, dans un cadre juridique à définir avec l’ONU, établir des « zones de sécurité » protégeant les camps de réfugiés dans les pays d’accueil périphériques aux zones de conflit. Aujourd’hui, ces camps sont livrés à eux-mêmes, aux trafics, aux violences. Ces conditions de vie non seulement poussent les réfugiés à se jeter dans les bras des marchands d’esclaves, mais le sentiment d’abandon fait de ces camps un terreau pour le terrorisme.
Ce sont dans ces camps sécurisés que nous devons enfin initier une profonde mutation de notre politique d’asile. C’est là que ces populations doivent être informées de la réalité qui les attend en Europe, c’est-à-dire le retour pour la plupart d’entre eux. C’est là que l’on doit instruire les demandes d’asile, et non plus dans l’urgence d’un débarquement sauvage au hasard des côtes européennes. C’est là, au plus près des besoins, que la Commission, avec les services diplomatiques des Etats membres, doit décider de la répartition et des conditions d’accueil de ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugié.
Ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt est président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen