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Éric Verhaeghe, féodalisé la Commission Européenne, l'Allemagne, unilatéralement décidé du Grexit
L’Allemagne conçue comme un espace politique unique de la Prusse au Rhin est une source de déséquilibre systémique pour le continent européen. Il est urgent de procéder à son démembrement, sans quoi l’Europe court à sa perte, comme ce fut le cas en 1914 ou en 1933.
L’Allemagne sans vision politique pour l’Europe
Réunifiée en 1991 par un coup de force, l’Allemagne prussienne aura mis vingt-cinq ans à tuer la construction européenne de 1956. Depuis que l’Allemagne a retrouvé en Berlin, capitale de la Prusse, son centre névralgique, elle se replie sur elle-même et utilise l’Union Européenne comme une arme pour s’enrichir au détriment de ses voisins, la vidant jour après jour de tout esprit de coopération. Seul le bénéfice à court terme et l’esprit de domination guident la Prusse dans sa conception des relations avec l’Europe.
C’est le péché capital de la Prusse depuis qu’elle a annexé le Rheinland, c’est-à-dire depuis les années 1840. Contrairement à ce que beaucoup de Français peuvent croire, l’Allemagne n’est pas un Etat-nation homogène comme la France. Elle n’existe qu’à travers une construction économique et monétaire (le Zollverein, l’Union douanière) dont la seule identité est le profit immédiat.
L’erreur européenne fut d’accepter sans coup férir une « réunification » allemande et une réinstallation de la capitale à Berlin: nous en payons aujourd’hui le prix fort.
L’Allemagne a féodalisé la Commission Européenne
Le premier signal du dysfonctionnement européen est envoyé par la Commission Européenne. Présidée par un Luxembourgeois sauvé des eaux grâce à Angela Merkel, la Commission a perdu toute existence politique et n’a plus qu’une utilité: endosser les décisions prises à Berlin. Pour le reste, les affaires sont directement négociées par maman Angela ou par ses sbires.
La crise grecque en donne un formidable exemple: la Commission n’y joue que les roues de secours. Les décisions se prennent (ou pas…) au sein de l’Eurogroupe, l’instance des ministres des Finances, présidée par le néerlandais Jeroen Dijsselbloem, choisi en son temps par Angela Merkel.
L’affaire des OGM, preuve de féodalisation
Que la Commission Européenne soit un instrument parmi d’autres de l’hégémonie prussienne en Europe est rappelé par l’étonnante affaire des OGM intervenue vendredi. De façon inattendue, en effet, la Commission a autorisé 10 nouveaux OGM (colza, maïs, soja, coton) pour une durée de 10 ans. Il n’est pas inutile de savoir que ces types d’organismes sont produits par Monsanto, BASF et Bayer Crop.
Comme c’est bizarre! deux des trois entreprises qui profitent de cette décisions sont allemandes. BASF avait déjà obtenu une autorisation pour un OGM en 2010, et Bayer Crop est née en 2002 du rachat de la filiale agro-alimentaire d’Aventis. La troisième entreprise, Monsanto, est américaine: voici un beau geste de Juncker dans le cadre de la négociation du TTIP.
L’Allemagne ne s’intéresse qu’à ses propres frontières
L’affaire des migrants qui se noient par centaines dans la Méditerranée en tentant d’atteindre les côtes italiennes a permis à Angela Merkel de mener une nouvelle opération à courte vue au nom, bien entendu, de l’amitié entre les peuples.
Très longtemps, l’Union a laissé l’Italie (considérée comme mal gérée par les Allemands) se débrouiller seule avec la question des migrants. L’opération « Mare Nostrum« , lancée en 2013, avait permis de juguler ces morts massives. Le Premier Ministre italien avait finalement considéré que rien ne justifiait que l’Italie finance seule une opération qui profitait à l’ensemble de l’Union.
Celle-ci a finalement pris le relais en novembre 2014 avec l’opération Triton, dotée d’un budget 3 fois moindre. Les conséquences ne se sont pas faites atteindre: les naufrages se sont multipliés.
On oublie trop souvent que « l’avarice » de Triton est directement due à l’Allemagne. Le ministre de l’Intérieur allemand avait, en octobre 2014, reproché à « Mare Nostrum » d’avoir servi de « pont » vers l’Europe et de contribuer ainsi à une augmentation de 60% des demandes d’asile en Allemagne. La volonté allemande a bien consisté, à cette époque, à réduire l’aide apportée aux migrants…
L’Allemagne a unilatéralement décidé du Grexit
La gestion de la crise grecque constitue une remarquable illustration du risque auquel l’Europe s’expose en laissant à l’Allemagne prussienne la conduite des opérations. Depuis l’élection de Syriza, Angela Merkel a décidé de sortir la Grèce de la zone euro. Pour y parvenir, l’Allemagne organise un jeu de dupes dont les principaux acteurs sont ses pions: Jeroen Dijsselbloem, chargé de s’assurer qu’aucun compromis n’est passé en dehors des points décidés à Berlin, les nouveaux entrants dans l’Union (choisis par l’Allemagne), comme les Slovaques, les gouvernements « centristes » mais eurosceptiques du Nord de l’Europe (comme en Finlande…) et bien entendu Jean-Claude Juncker lui-même.
Tous ces acteurs organisent le jeu de façon très répétitive. Des sommets sont organisés pour évaluer des propositions grecques qui n’interviennent jamais. Indéfiniment, les alliés européens de l’Allemagne déplorent donc l’absence de progrès grecs, et laissent au cruel docteur Schaüble, ministre allemand des Finances, le rôle du méchant génie qui ponctue les réunions par une remarque très attendue: la Grèce s’approche du Grexit.
Le sommet de Riga de vendredi n’a pas dérogé à la règle. Il était d’ailleurs annoncé comme ne devant déboucher sur aucune solution. Il a toutefois donné lieu à une innovation: pour la première fois, un ministre des Finances a osé demander tout haut ce qui se passerait si aucun accord avec la Grèce n’était trouvé. C’est évidemment un pion de l’Allemagne qui a levé le lièvre, en l’espèce le ministre slovène des Finances (rappelons que l’Allemagne a imposé la Slovénie dans la zone euro).
Cette question opportunément posée a permis à Wolfgang Schaüble de répondre à la presse:
« si un politique responsable répond oui à cette question, vous savez ce qui va se passer, s’il répond non, vous ne me croirez pas. »
L’Allemagne a-t-elle bien mesuré les risques qu’elle fait courir à l’Europe en organisant la première sortie non volontaire de la zone euro? L’avenir nous le dira…
Le Grexit préparé pour le 11 mai
C’est l’Eurogroupe du 11 mai qui tranchera sur la question grecque. Auparavant, la BCE aura statué sur la « fermeture » du robinet aujourd’hui ouvert en faveur de la Grèce. Une réunion se tiendra le 6 mai à Francfort pour évoquer le maintien ou non du financement d’urgence des banques grecques par la BCE (encore relevé d’1,5 milliard€ cette semaine), bouée de sauvetage sans laquelle l’Etat grec ne peut plus se financer.
Ce calendrier a sa cohérence: le 12 mai, la Grèce doit rembourser 948 millions d’euros au FMI, et devrait théoriquement officialisé son défaut ce jour-là. Tsipras a eu l’illusion de pouvoir y échapper en mobilisant toute la trésorerie publique existante, mais il n’aurait récupéré que 500 millions d’euros de cette façon, au lieu des 2 milliards attendus.
La Grèce en plein coup d’Etat qui ne dit pas son nom
Face à l’urgence, Tsipras multiplie les décisions d’exception qui laissent perplexe sur l’état de la démocratie grecque. En particulier, Tsipras a promulgué un décret contraignant toutes les collectivités publiques à confier leurs liquidités à la banque nationale grecque. Cette décision ahurissante prouve, s’il le fallait, que la Grèce est d’ores et déjà en situation de faillite. Elle revient à confisquer autoritairement l’ensemble du pouvoir en Grèce au profit du gouvernement.
Pour la Grèce, cette décision est très mauvais signe: elle organise la chute systémique de l’ensemble de la structure publique grecque. Elle préfigure une crise politique de grande ampleur, déjà évoquée par le gouvernement Tsipras lorsqu’il évoque un retour aux urnes pour susciter un plébiscite sur sa politique.
Tsipras voit-il le coup venir?
L’urgence financière qui touche la Grèce produit déjà un effet de contamination. Les taux d’intérêt se tendent et la Grèce emprunte désormais à 10 ans à près de 13%. La hausse des taux a également touché l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Le risque de contamination systémique est évidemment le scénario sur lequel Tsipras parie dans sa partie de poker: l’homme qui avait roulé des mécaniques en arrivant au pouvoir et qui, à ce stade, n’a entamé aucune vraie réforme, joue la montre en étant convaincu que l’Allemagne cèdera par peur d’un effondrement généralisé en cas de défaut grec.
D’ores et déjà, la Grèce a donc bâti son plan « B », c’est-à-dire son sauvetage par le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). En attendant, il multiplie les vexations vis-à-vis de l’Allemagne (et les cadeaux à l’administration américaine) en écartant par exemple un consortium allemand des privatisations qu’il décide.
Tsipras, redisons-le, est bien téméraire d’accorder à l’Allemagne une intelligence suffisante pour éviter le scénario du pire. On penche plutôt pour l’inverse: l’Allemagne ne se fera pas prier face au défaut grec, et sortira les impétrants sans ménagement de la zone euro.
Les frises du Parthénon, dernière farce européenne
En attendant, la Grèce livre l’un de ses derniers combats, très symbolique des relations entre les Européens. Les soutiens se sont en effet multipliés pour plaider en faveur d’un retour de la frise du Parthénon, actuellement au British Museum, vers le musée de l’Acropole. Même la femme de George Clooney s’y est mise. Au fond, le gouvernement Tsipras parviendra à pipoliser comme jamais la cause du nationalisme grec.
Ce sera peut-être sa principale victoire.