
Plus d’une centaine de personnalités dénoncent le « dérapage » autoritaire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui a mené à l’arrestation de 22 militants, l’emprisonnement d’un étudiant et la suspension ou l’expulsion planifiée de neuf autres étudiants.
Dans des lettres transmises au Devoir, deux groupes composés en majorité de professeurs appellent la direction de l’UQAM à lever les sanctions disciplinaires contre tous les étudiants ayant manifesté avant, pendant et après le mouvement de grève. Ils réclament aussi le retrait des caméras de surveillance, des policiers et des gardes de sécurité privés appelés à la rescousse par l’Université.« L’université n’est peut-être pas un sanctuaire, mais elle est encore moins un camp de redressement pour une jeunesse qui contesterait, par des levées de cours et des manifestations, la droite ligne des politiques d’austérité », écrivent 26 des 35 professeurs du Département de sociologie de l’UQAM.
« Nous connaissons ces étudiant.e.s pour les avoir eus dans nos cours. Nous les côtoyons dans nos locaux, partageons le même bâtiment, la même cafétéria. Nous n’avons pas besoin de gardes et de policiers pour nous protéger d’eux », ajoutent les professeurs. Plusieurs des étudiants arrêtés le 8 avril proviennent du Département de sociologie, selon les professeurs.Un autre groupe de 100 personnalités, pour la plupart des professeurs de cégep ou d’université, critique aussi durement ce qui est décrit comme un « virage austéritaire » (à la fois austère et autoritaire) à l’UQAM. Les professeurs s’en prennent aux moyens « disproportionnés » mis de l’avant pour l’UQAM pour mettre fin au mouvement de grève. Les signataires évitent de se prononcer sur le bien-fondé ou non de la grève, a précisé Magali Uhl, professeure de sociologie à l’UQAM, qui a signé les deux lettres.
« On accuse les grévistes de nuire à « l’image » de l’UQÀM. Or, ce qui lui fait le plus mal, c’est sans conteste cette administration autoritaire », écrivent les signataires, issus d’une quinzaine decégeps et de cinq universités (UQAM, Université de Montréal, Université Laval, UniversitéConcordia et même Université de Toronto).Les 100 signataires dénoncent aussi « l’enseignement sur le mode de la machine distributrice », qui conçoit le monde étudiant comme une « clientèle » ; ils s’en prennent de plus à « l’université qui se conçoit comme une entreprise soumise à la logique de la productivité, du profit et de l’image de marque [le branding] ».
Emprisonnement contesté La goutte qui a fait déborder le vase, c’est l’arrestation et l’emprisonnement d’Hamza Babou, étudiant au baccalauréat en sociologie qui a pris part à des manifestations à l’UQAM. Le juge Denis Laberge, de la Cour municipale, a refusé de remettre l’étudiant en liberté en attendant son procès pour 14 chefs d’accusation, dont agression armée, voies de fait, menace, méfait, harcèlement criminel et attroupement illégal.
« […] nous demandons surtout aux juges de faire leur métier de manière impartiale sans se soucier de ce qu’en dira l’opinion publique. Car, en ce moment même, un jeune homme est retenu en prison, prétendument pour donner l’exemple, sans savoir s’il pourra bénéficier d’une libération conditionnelle, ni quand », écrivent les signataires.« Ça rappelle des événements malheureux qui ont eu lieu en 2012 », affirme Diane Lamoureux, professeure au Département de science politique de l’Université Laval. Deux professeurs avaient été arrêtés durant une manifestation à l’Université du Québec en Outaouais. Et une intervention de la police lors d’une manifestation au Département de philosophie de l’Université de Montréal avait mal tourné, rappelle-t-elle.
Le professeur émérite Jean-Marc Piotte, du Département de science politique de l’UQAM, s’inquiète lui aussi du virage musclé de l’université. Il a été le premier président du Syndicat des professeurs de l’UQAM, en 1971. Il trouve que le climat a drôlement changé en 44 ans. Et pas pour le mieux.« À l’origine, il y avait un esprit de cogestion entre la direction, les étudiants et les professeurs à l’UQAM, dit-il. Je ne m’attendais pas à ce que l’UQAM prenne ce virage autoritaire. C’est sûr qu’il y a eu des dérapages des étudiants, mais l’administration dérape encore plus. »
Si des étudiants ont manifesté masqués, le 8 avril, c’est pour éviter de se faire filmer et photographier par les gardes privés et par les policiers déployés massivement à l’université, fait valoir Jean-Marc Piotte.Négociations
Les discussions se sont poursuivies lundi entre les associations étudiantes et les vice-recteurs René Côté et MarcTurgeon dans le dossier des étudiants menacés d’expulsion. De nouvelles rencontres sont prévues prochainement, a précisé la direction de l’université.De leur côté, 20 étudiants arrêtés lors de la manifestation qui a tourné au saccage, le 8 avril, ont remporté une mince victoire : ils ont obtenu le droit de retourner à l’UQAM en attendant la suite des procédures judiciaires contre eux. Ils pourront aller à leurs cours et à la bibliothèque, notamment. Ils devront respecter des conditions strictes, dont celles de ne pas se trouver dans un attroupement illégal et de quitter une manifestation dès qu’un ordre de dispersion a été prononcé par la police.
« Il y a eu deux semaines où les étudiants n’ont pu aller à leurs cours. Nous considérons que ça ne respecte pas leur présomption d’innocence », dit Franccesca Cancino, une des avocates des étudiants.