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Christiane Taubira, controverses stériles, laicité, les concepts de Nation, paternité de concepts, république, utilisation abusive de l'Histoire
Copyright de gauche sur la nation, la République et la laïcité : bienvenue dans la pensée hémiplégique de Christiane Taubira et la violence symbolique permanente qu’elle ne peut s’empêcher d’exercer en procédant systématiquement à l’exclusion de tout ce qui selon elle n’appartient pas à la gauche.
Jean Garrigues et Gil Mihaely
Dans une interview au Parisien, Christiane Taubira s’accapare, au nom de la gauche, les concepts de Nation, de République et de laicité. Ce n’est pas la première fois, comme l’ont montré ses tweets en novembre 2013. Comment expliquer cette obsession propre à la garde des Sceaux ?
Jean Garrigues : Il est aussi absurde de revendiquer ces concepts pour la gauche qu’il est absurde de revendiquer le terme de « républicain » pour la droite. Il s’agit d’une falsification et d’une appropriation de notre patrimoine historique. Les concepts mentionnés par Christiane Taubira ont été forgés au XIXème siècle par « les » gauches au pluriel, contre ce qui était « les » droites » de l’époque, notamment les monarchistes.
Mais au XXème siècle, le raisonnement de Madame Taubira ne tient plus, car depuis l’Union Sacrée de la Nation lors de la Première Guerre Mondiale il y a eu un consensus sur ces notions, unissant la gauche et la droite. Par exemple, Maurice Barrès a soutenu un président du Conseil issu de la gauche, le radical Clémenceau, en novembre 1917. Par la suite, la défense de la République n’est pas réservée à la gauche, comme le montre le cas de la Résistance française, réunissant des hommes de droite comme de gauche dans le Conseil National de la Résistance en 1943. L’Histoire du XXème siècle nous rappelle que ces concepts-là appartiennent au patrimoine commun.
Il est vrai qu’il y a une sensibilité plus laïque à gauche qu’à droite (l’exemple du Cartel des Gauches en 1924 notamment ou de la loi Savary sous François Mitterrand), mais la nécessité de préserver les valeurs de la République devrait rassembler plutôt que diviser. Ce type de controverses stériles fait réfléchir sur l’évolution de ces concepts.
A quand remonte la guerre pour la paternité de ces concepts entre droite et gauche ?
Jean Garrigues : Cet affrontement bipolaire est le reflet des petites guerres politiciennes, qui ne sont pas à la hauteur de ces concepts. Pour schématiser, on peut voir dans l’affaire Dreyfus en 1898-1899 un affrontement entre la droite qui se réclame de la Nation, lui conférant une primauté sur la République, et une gauche qui place la République au-dessus de la Nation.
C’est donc un débat vieux de plus d’un siècle, qui a souvent agité la société française.
C’est d’ailleurs un débat compliqué qui ne se résume pas à une droite nationale et une gauche républicaine. En effet, la Fédération républicaine est un exemple de droite républicaine, et on trouve également une gauche héritière de la Nation (le pacifiste Jaurès s’en revendiquait notamment ).
Quelle est l’histoire des concepts de République, Nation et laïcité, dont se réclame Christiane Taubira ?
Jean Garrigues : La Révolution française a créé ces concepts ensemble : la République fait la Nation en armes. Nation et République se confondent donc sous la Révolution, en rupture avec l’Ancien Régime. Elle instaure la souveraineté du peuple ainsi que les valeurs de liberté, fraternité, égalité, et de plus en plus de laïcité.
Qu’est-ce qui dans l’histoire de la droite pourrait en partie donner raison à Christiane Taubira ?
Jean Garrigues : La droite du XIXème siècle est antirépublicaine jusqu’en 1890, mais à ce moment-là, « les » droites se rallient aux valeurs de la République. La droite nationaliste de l’Action Française à la fin du XIXème siècle et jusqu’au années 1930, avec le monarchiste Charles Maurras, avait tendance à penser que la République n’est pas compatible avec la Nation.
Plus tard, dans les années 1980, l’extrême droite populiste exalte la Nation dans la critique de la République, et est soupçonnée d’en contester les valeurs.
Comment droite et gauche se sont-elles approprié ces concepts ? Qu’y projettent-elles aujourd’hui ?
Jean Garrigues : Je crois que la droite et la gauche projettent les mêmes choses sur ces concepts, dans le cadre d’une démocratie d’Etat-providence. Mais la droite a eu tendance à aller plus vers la liberté et la gauche à davantage cultiver l’égalité. Cependant on peut considérer qu’une partie de la droite aujourd’hui est égalitaire en matière de droits de l’Homme et de protection sociale, comme le montre l’héritage d’Alain Juppé par exemple.
La différence se trouve plus sur les valeurs défendues par le Front National, avec l’idée de priorité nationale notamment.
Quel intérêt ce débat alimenté de façon régulière par Christiane Taubira a-t-il pour l’opinion ?
Jean Garrigues : Christiane Taubira a sans doute lancé ce débat en réaction au choix du nom « Républicains » pour la droite par Nicolas Sarkozy. Des deux côtés, ce débat sert à se positionner, plutôt qu’à avoir une posture de fond. A mon sens, il s’agit d’une utilisation abusive de l’Histoire. Les acteurs politiques devraient être plus prudents.