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Christian Estrosi ? Ce sont ses amis qui en parlent le mieux. Jugez plutôt cette réflexion de fin connaisseur de l’animalerie politique qu’est Nicolas Sarkozy en 2012 : «Estrosi, lui, est ridicule : il est comme un chien de chasse, il va chercher le gibier et il le déchiquette. Avec Nadine, la bête est étourdie mais encore mangeable.»*
Il n’est pas sûr que, depuis cette date, le patron de l’UMP n’ait pas changé son fusil d’épaule puisqu’il vient d’adouber le bouillant maire de Nice pour conduire la liste de son parti aux élections régionale en Paca. Pourtant, la récente sortie de son ancien ministre de l’Industrie légitime son point de vue initial. Démarrant la grosse cylindrée de sa campagne, Estrosi a pétaradé quelques «concepts» comme «cinquième colonne» ou «islamo-fascisme», mais il est passé à la vitesse supérieure lorsqu’il a déclaré, toujours ce dimanche 25 avril, sur France 3 : «La carte d’identité ne fait pas un Français.» Chaussée glissante. L’UMP en garde-boue du FN. Si on était taquin, on lui rétorquerait qu’apparemment, après avoir dit de telles énormités, il est évident que plusieurs mandats électoraux ne font pas un élu de la République. Mais, précisément, on n’a pas envie d’être taquin sur ce sujet, mais juste en colère et ce pour plusieurs raisons.
En politique, les mots ont un sens. Il est vain de glapir sur les attaques permanentes contre notre belle langue si l’on s’exempte soi-même de toute rigueur et si, sous la pression électorale, votre pensée quitte le cale-pied comme le premier amateur de moto-cross. Tout le monde a bien compris que l’embardée estrosiste vise à prendre la tête du peloton des listes identitaristes en Paca. On a le vertige en pensant que les citoyens de ces riantes contrées auront notamment le choix aux prochaines élections régionales entre trois listes d’extrême droite pour peu que la Ligue du Sud de l’Orangeois Jacques Bompard présente des candidats sous ses propres gonfalons.
Car que signifie cette phrase sinon la volonté d’opérer un tri entre les citoyens français, de dresser une partie de nos concitoyens contre une autre, de retrancher de la communauté nationale les hommes et les femmes qui ne répondent pas «présents !» quand sonne au loin le clairon de Déroulède ? Voulait-il dire par là qu’un terroriste ne mérite pas d’être français ? Je dirais qu’avant tout il ne mérite pas d’être un homme et pourtant, même après son crime, il n’en continue pas moins de faire partie de notre commune humanité.
Plus le débat patine et plus il fait penser à l’épisode peu glorieux du débat sur l’identité nationale de la France qui se déroula de 2009 à 2010. Ce débat voulu par Nicolas Sarkozy et relayé par Eric Besson, transfuge du Parti socialiste. J’emploie le terme «débat», mais celui de «monologue» serait ici plus juste. Que s’est-il passé ? Il n’a pas fallu vingt-quatre heures pour que la question de l’identité de la France se résume à la question de l’immigration et de l’intégration, les deux étant mêlées dans le même pot à tambouille politique dégageant un fumet persistant de lepénisme.
Rien n’est plus légitime que de vouloir évoquer l’identité de son pays, mais rappelons ici que durant des mois on assista à la multiplication de dérapages racistes, allant jusqu’à prendre pour cibles les Français de deuxième et même de troisième génération (pour un Jean-Marie Le Pen qui table sur mille ans, Christian Estrosi est un étranger). Rappelons encore que, quotidiennement, des tombereaux d’ordures sont déversés sur les têtes d’un grand nombre de Français, les sommant de s’expliquer, de donner des preuves de leur «francité». Il y avait longtemps que l’on n’avait pas vu un tel exercice de défouloir national. Et ces propos n’étaient pas l’apanage d’anonymes ni de petits responsables politiques. Des parlementaires, des intellectuels, des ministres comme la «subtile» Nadine Morano y allèrent de leurs couplets discriminants et xénophobes, illustration d’une droite sans tabou et décomplexée. «Affirmez vos convictions, ne craignez pas de cliver, les Français vous soutiennent», avait lancé le président de la République. Au lieu de quoi, ce furent les Français qui mirent fin à cette expérience furieuse de thérapie collective.
Au printemps, une majorité d’entre eux, au départ favorable à un débat sur l’identité nationale, réclamait dans les sondages son arrêt toutes affaires cessantes. Ce fut la débandade de l’exécutif. Un séminaire gouvernemental décida que les travaux produits étaient suffisamment intéressants (rires) et on oublia. Enfin, pas tout à fait, puisqu’on voit resurgir cette obsession grâce à Christian Estrosi. Il paraît que lui et ses amis veulent se baptiser «Républicains». Oxymore et sans remords sont les deux mamelles du sarkozisme.
