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Livia Leu: «L’Iran est un grand pays avec presque 80 millions d’habitants au niveau d’éducation élevé. […] Il existe donc beaucoup de possibilités pour les entreprises suisses.» (Béatrice Devènes/Lunax)

Livia Leu: «L’Iran est un grand pays avec presque 80 millions d’habitants au niveau d’éducation élevé. […] Il existe donc beaucoup de possibilités pour les entreprises suisses.» (Béatrice Devènes/Lunax)

L’ancienne ambassadrice de Suisse en Iran revient sur un voyage de trois jours à Téhéran organisé par le Seco pour les entreprises suisses s’intéressant au marché iranien. Des opportunités existent mais il faudra attendra un accord définitif sur le dossier nucléaire, prévient-elle

Lundi matin à Berne. Livia Leu, responsable des relations bilatérales du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), nous reçoit dans ses bureaux. L’ancienne ambassadrice de Suisse en Iran – de 2009 à 2013 – vient de passer trois jours à Téhéran avec une délégation suisse diplomatico-économique d’une vingtaine de personnes. Une première visite officielle de ce type depuis plus de dix ans au pays des mollahs qu’elle nous raconte dans les détails.

Le Temps: Quel était le but de ce voyage?

Livia Leu: Il s’agissait de faire le point sur les relations économiques existantes entre la Suisse et l’Iran mais aussi de sonder le terrain en vue d’un accord définitif entre les grandes puissances et Téhéran sur le dossier nucléaire. Nous avons ainsi rencontré des officiels iraniens, que ce soit des représentants des ministères des Affaires étrangères, de l’Economie et de la Santé, et des représentants du secteur privé, comme ceux de la Chambre de commerce iranienne, l’équivalent iranien d’economiesuisse, ou de la nouvelle Chambre de commerce Iran-Suisse, qui regroupe justement des entreprises des deux pays.

– Quel bilan en tirez-vous?

– Je suis très satisfaite. Tout le monde a pu se rendre compte des spécificités du marché iranien, se faire une image réaliste des opportunités qu’il représente mais aussi de ses défis. Les membres de la délégation étaient d’emblée conscients que tout dépendra d’une conclusion des négociations dans
le dossier nucléaire. Cet accord est indispensable pour pouvoir passer à l’étape suivante et faire des affaires avec l’Iran sans risquer de violer les sanctions internationales et suisses qui restent en place pour l’instant. Et cela même si un grand pas en avant a été réalisé avec la déclaration de Lausanne, le 2 avril, qui
a conforté l’optimisme qui règne sur ce dossier depuis l’élection de Hassan Rohani à la présidence de l’Iran en août 2013.

– Quel était l’intérêt pour un patron suisse de se rendre en Iran en l’absence d’un tel accord?

– Pour l’instant, le dossier nucléaire n’est pas résolu et personne ne peut savoir quand ni comment seront levées les sanctions. Malgré cela, je crois qu’il peut être utile pour des entreprises suisses de nouer des contacts dès à présent, de se faire une idée de ce qui les attend sur place. Lorsque vous ne connaissez pas un marché, le plus important est d’avoir un partenaire fiable, quelqu’un qui puisse vous aider
le moment venu.

– Qu’est-ce qui rend le marché iranien si attrayant?

– L’Iran est un grand pays avec presque 80 millions d’habitants au niveau d’éducation élevé. C’est un pays riche qui dispose, entre autres, d’importantes réserves de gaz et
de pétrole. Il existe donc beaucoup de possibilités pour les entreprises suisses, que ce soit dans les infrastructures, comme par exemple les transports, mais aussi dans le secteur des cleantechs. Les Iraniens se rendent compte aujourd’hui qu’ils doivent faire des efforts pour être plus efficaces dans le domaine énergétique, aussi pour des questions d’écologie. L’Iran représente également un marché intéressant pour les biens de consommation, comme les médicaments ou les denrées alimentaires. Enfin, les Iraniens souhaitent développer leur secteur touristique, ce qui pourrait entraîner des collaborations entre nos deux pays.

– Quelles sont les entreprises qui vous ont accompagnée?

– Le Seco ne dévoile jamais les  noms des participants à de telles missions. Je peux toutefois vous dire que les secteurs de la pharma, des machines, de la finance et des cleantechs étaient représentés.

– Les entreprises suisses restent encore très prudentes lorsqu’il s’agit d’évoquer l’Iran et son marché…

– L’Iran a représenté ces dernières années un marché à haut risque, notamment en termes de réputation, et cela même pour les entreprises qui n’étaient pas directement concernées par les sanctions, comme celles actives dans les biens humanitaires. Même si les choses semblent évoluer dans le bon sens, les entreprises qui ont participé
au voyage n’y sont pas allées pour signer des contrats tout de suite. Elles voulaient surtout se faire une idée du pays et se préparer pour le moment venu.

– Qu’est-ce qui a changé en Iran depuis que vous êtes rentrée en Suisse?

– Sans aucun doute l’atmosphère beaucoup plus optimiste. Et le nombre de délégations économiques qui se succèdent aujourd’hui sur place a clairement augmenté. Nous avons d’ailleurs croisé des Allemands et des Italiens durant notre séjour, par hasard. Il ne faut pas oublier que pour une Europe
en crise, le marché iranien est potentiellement très intéressant. Mais vous savez, les Iraniens ne nous ont pas attendus pour se développer. Ils font face aux sanctions américaines depuis 35 ans, aux sanctions onusiennes depuis 2006 et aux sanctions européennes depuis 2010, alors vous pouvez imaginer qu’ils ont appris à se débrouiller. Ils se sont mis à produire davantage sur place, et à faire des affaires avec les Asiatiques, notamment les Chinois, qui sont très présents en Iran. Le marché iranien n’a de loin pas été laissé à l’abandon et il faut s’attendre à une certaine compétition.

– Quel était le discours des autorités sur place?

– Les officiels que nous avons rencontrés étaient très réalistes. Ils étaient conscients, eux aussi, que pour les entreprises étrangères, et notamment européennes, rien ne changerait avant la signature d’un accord définitif. Personne ne se faisait d’illusions ou n’imaginait que l’on était là pour signer des contrats. Le fait que l’intérêt pour leur marché soit finalement conditionné à cet accord politique est aussi pour eux une source de motivation pour poursuivre les négociations. Ils savent qu’en fin de compte, c’est leur niveau de vie qui peut s’améliorer.

– Avez-vous ressenti la dégradation de l’économie iranienne?

– Je l’ai surtout ressentie lorsque j’étais ambassadrice. En 2012-2013, il y avait une inflation supérieure
à 40% et la monnaie se dépréciait très rapidement. Les choses se sont toutefois améliorées depuis l’élection du président Rohani. Aujourd’hui, l’inflation est de 15% et la monnaie s’est stabilisée. Il est évident que le développement économique de l’Iran a été freiné par les sanctions, surtout par l’embargo sur le pétrole iranien et les sanctions financières internationales.

– Quelle est la posture des banques suisses vis-à-vis de l’Iran?

– Si les banques suisses ont quitté l’Iran il y a très longtemps, elles bénéficient toujours d’une très bonne image sur place tant pour leurs services que pour leur professionnalisme. Maintenant, étant donné l’historique des amendes
qui ont été infligées au secteur financier, elles seront certainement parmi les plus prudentes en cas d’accord diplomatique. Pour l’Iran, en revanche, le secteur financier est la clé de tous leurs problèmes, car les transactions financières sont largement bloquées pour l’instant.

– Les grands groupes de négoce de matières premières basés en Suisse ne faisaient pas partie du voyage. N’étaient-ils pas invités?

– On ne fait jamais d’invitations à des compagnies individuelles pour nos voyages.

– Ils n’ont peut-être pas besoin du Seco pour nouer des contacts sur place?

– C’est aussi possible.

– La question des droits de l’homme peut-elle être un frein aux relations économiques entre nos deux pays?

– Même si un accord est conclu sur le dossier nucléaire, la question des droits de l’homme est et restera à l’agenda. Tout comme les sanctions qui visent l’Iran et qui sont liées à cette problématique. Quant aux entreprises, elles peuvent s’appuyer sur les lignes directrices de l’OCDE et des Nations unies pour savoir comment elles doivent se comporter. Cela fait partie des éléments à prendre en considération.

http://www.letemps.ch