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Manifestation contre la violence policière à Baltimore après la mort de Freddie Gray. (Keystone)
Les Etats-Unis ont subi le feu des questions au Conseil des droits de l’homme à Genève. Washington ne convainc pas la société civile américaine
La première puissance mondiale, qui se présente volontiers comme le porte-étendard des droits de l’homme, a subi lundi à Genève un feu nourri de questions sur son bilan en la matière. Dans l’enceinte du Conseil des droits de l’homme, durant trois heures, 117 pays sont intervenus pour faire leurs «recommandations», selon la terminologie de l’Examen périodique universelle (EPU) qui voit chaque pays, à tour de rôle, être soumis à la critique de ses pairs.
Avec soixante-cinq secondes pour s’exprimer, les représentants des Etats sont allés droit au but. Le Kazakhstan a ouvert le bal en dénonçant l’usage excessif de la force par la police américaine et le profilage racial. Plus généralement, les dérapages à répétition des forces de l’ordre à l’endroit des Noirs est la principale critique adressée à l’Amérique de Barack Obama.
Mais bien d’autres manquements sont soulignés. A commencer par le scandale du maintien de la prison de Guantanamo et de sa justice militaire. La torture, pratiquée de façon systématique sur les détenus de ce camp, comme l’a confirmé un rapport de l’administration américaine, est pointée du doigt par la plupart des pays, alliés ou concurrents. S’y ajoute un appel à établir un moratoire sur la peine de mort.
Tout aussi problématique est la surveillance généralisée des citoyens américains ou non par le Renseignement du Pentagone. La Chine, entre autres, appelle les Etats-Unis à «s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des individus partout dans le monde». La Russie pour sa part voudrait voir Washington mettre fin aux «exécutions extrajudiciaires» comme elle désigne les attaques menées par les drones. Les Etats européens ont insisté sur la nécessité de rejoindre les nombreuses conventions internationales que Washington refuse de signer ou ratifier, y compris la Cour pénale internationale (CPI).
La délégation américaine, venue en force, a joué les bons élèves, n’hésitant pas à reconnaître ses torts. «Nous sommes ici avec fierté et humilité», a commencé par déclarer Keith Harper, ambassadeur américain auprès du Conseil des droits de l’homme, avant de citer son président: «L’Amérique n’a jamais prétendu être parfaite. Nous prétendons être ouverts au changement.» James Cadogan, conseiller au Ministère américain de la justice, a reconnu que ces six dernières années 400 policiers ont été poursuivis pour usage excessif de la force.
Est-ce suffisant? «Les Etats-Unis sont forts dans les processus, mais il y a peu de résultats», proclamait avant même le début des débats l’ONG américaine Human Rights Watch. Parmi les améliorations soulignées par le Conseil des droits de l’homme, il y a le système de protection sociale et l’extension de l’assurance santé ou encore une meilleure défense des droits des minorités sexuelles.
«Nous sommes déçus par les réponses apportées par le gouvernement, explique Ejim Dike, responsable du Réseau sur les droits de l’homme aux Etats-Unis. Il n’est plus question de lutte contre la pauvreté et les inégalités, plus question des droits économiques et sociaux. C’est un recul.»
Une quarantaine de représentants de la société civile américaine ont fait le déplacement. En marge du Conseil, plusieurs d’entre eux dénoncent la situation des Afro-Américains. «Pourquoi les coupables restent-ils impunis?» s’interroge Martinez Sutton, dont la sœur a été tuée d’une balle dans le dos par un policier qui a ensuite été libéré au bénéfice d’une erreur de procédure judiciaire. Un chef indigène revendique le respect des droits pour les «natifs» de l’Alaska et d’Hawaii (demande relayée par le Pakistan), un Hispanique dénonce les renvois forcés à la frontière (un souci partagé par tous les pays américains), une transsexuelle noire témoigne: «Les transsexuels sont discriminés, alors imaginez lorsqu’ils sont Noirs.»
L’administration Obama fait des promesses mais peine à les traduire en actes. David Nevin, avocat de Khaled Cheikh Mohammed, l’un des cerveaux du 11-Septembre, qui devrait être exécuté malgré les innombrables séances de torture qu’il a subies, ne désespère pas. «De retour aux Etats-Unis, je pourrai dire à la commission militaire qui le juge: voyez, le monde entier veut la fermeture de Guantanamo; on n’exécute pas les victimes de tortures. C’est le droit international. Et cela peut avoir un réel impact.»