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« Ça craque à Damas », hier matin dans Libération, qui ne consacrait pas moins de cinq pages à la situation actuelle de la Syrie et notamment au nouveau rapport de forces, sur le terrain, entre loyalistes et rebelles.
Dominique Jamet

Tel un boxeur groggy titubant sur le ring, le régime syrien chancelle sous les coups qui pleuvent de toutes parts. La chute de Bachar et des siens, tant de fois annoncée depuis quatre ans et jusqu’ici démentie par l’événement, ne serait-elle plus qu’une question de mois, voire de semaines ? Nous verrons bien. Dès à présent, ses adversaires pavoisent, à plus ou moins bon escient. Car ils sont de deux sortes. D’une part ceux qui souhaitent la victoire du camp sunnite, voire de Daech, et qui sont logiques avec eux-mêmes, dès lors qu’ils sont en effet sunnites, salafistes, wahabbites et djihadistes. D’autre part, les innombrables idiots utiles (à quoi ?) qui, en Occident, persistent à croire que la défaite d’el-Assad débouchera sur le triomphe de la démocratie et qui, n’ayant rien appris ni rien compris depuis l’élimination de Saddam, l’assassinat de Kadhafi, voire l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh en 1975, vont au-devant d’une déception qui se traduira sur place par des massacres et leur arrachera à la réflexion, au mieux, de vagues et vains regrets.

« Ça craque à Damas », hier matin dans Libération, qui ne consacrait pas moins de cinq pages à la situation actuelle de la Syrie et notamment au nouveau rapport de forces, sur le terrain, entre loyalistes et rebelles. L’évolution récente du conflit et les revers gouvernementaux s’expliquent essentiellement par la naissance et l’entrée en action, avec la bénédiction des Occidentaux et l’aide massive de la Turquie et des monarchies du Golfe, de l’étrange inquiétante coalition qui, sous le nom d’Armée de la conquête (Jaish al Fatah), unit les salafistes d’Ahrar al-Sham, le Front al-Nosra, branche locale d’Al-Qaïda, cinq autres groupes islamistes et, à l’état de traces, quelques « modérés », nous dit-on.

Le quotidien bobo se réjouissait naturellement à l’idée que l’on irait donc bientôt vers la fin d’un conflit qui, depuis la révolution de 2011 (?), aurait fait, je le cite textuellement, « 310.000 morts, tués par la répression du régime ou dans des combats au sein de la rébellion ».

On lit ces quelques lignes, d’abord sans réagir, machinalement, comme on a l’habitude de faire lorsqu’il est question des victimes d’un séisme, d’un tsunami ou d’un conflit lointain. Et soudain on sursaute, on se frotte les yeux, dont on ne croit pas le témoignage : 310.000 morts d’un côté. Et de l’autre ? Zéro, apparemment. Pas la moindre mention, pas le moindre mot sur les quelque cent mille Syriens, militaires et civils, partisans du gouvernement ou simplement neutres, alaouites, bien entendu, mais aussi bien chrétiens, druzes, maronites, kurdes, yazidis, chiites, qui ont péri dans le cours d’une guerre qui, depuis bien longtemps, ne se réduit pas au massacre des uns, innocents désarmés, par les autres, soudards déchaînés, tortionnaires ivres de sang et d’orgueil, mais est une guerre civile et internationale où s’affrontent deux camps dont le plus criminel, le plus féroce et le plus dangereux pour la Syrie et pour la paix du monde n’est pas celui de la dynastie au pouvoir depuis plus de quarante ans à Damas.

On ne prétendra pas aborder et régler dans le cadre limité de cet article le débat sur les arguments, les fautes, les erreurs et les crimes que peuvent légitimement se reprocher les deux camps opposés. Il est certain que Bachar aurait depuis longtemps succombé si le Hezbollah libanais et l’Iran des mollahs n’étaient venus à son secours. Il n’est pas moins évident qu’il l’aurait depuis longtemps emporté, comme son père avant lui, sur la rébellion, si celle-ci n’avait bénéficié de la complaisance des États-Unis et de l’Union européenne, de l’afflux des volontaires internationaux de la Terreur noire, de la complicité et de l’appui des États sunnites. Mais c’est un mensonge éhonté que de prétendre que dans la lutte à mort qu’il mène depuis quatre ans, le président syrien est un homme seul et surtout que les victimes sont d’un seul côté, comme le font jour après jour des médias qui ont pour seul parti leur parti pris, comme s’ils étaient partie prenante dans le conflit, et non celui de la vérité.

Il ne s’agit pas seulement ici de morale (encore que…) mais de la trahison permanente et scandaleuse par une large majorité de la presse de son premier devoir qui est, il faut le lui rappeler, d’informer. 310.000 à zéro, aucun journal jusqu’à présent n’avait osé avancer un tel score. Libération l’a fait.

Boulevard Voltaire – La liberté guide nos pas