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Européens

Les Européens sont-ils atteints du mal qui a longtemps frappé les Etats-Unis: l’isolationnisme? Les débats sur le « Migration Agenda » lancé par Jean-Claude Juncker et sa fine équipe le laissent à penser.

Juncker veut que les Européens accueillent 1,5 million de migrants par an

Certains Européens n’ont évidemment pas manqué d’être stupéfaits en découvrant le « Migration Agenda » concocté par la Commission Européenne et rendu public mercredi. La presse l’a volontiers réduit à un simple plan d’accueil de 20.000 réfugiés à répartir équitablement entre tous les pays de l’Union.

En réalité, le programme migratoire de la Commission Européenne est de nature très différente. Dans un rapport sur le vieillissement d’ici à 2060, la Commission anticipe des flux migratoires situés entre 1 million et 1,5 million de migrants chaque année dans l’Union:

Européens et migrationPrécisons qu’il s’agit bien ici d’un flux migratoire net, c’est-à-dire de la différence entre la masse des gens qui arrivent dans l’Union et la masse des gens qui la quittent. Pour Jean-Claude Juncker, ce mouvement est nécessaire pour compenser la dénatalité observée dans certains pays européens, notamment en Allemagne.

Selon les services de la Commission, l’Allemagne tomberait en effet en 2060 à une population de 70 millions contre 90 aujourd’hui, pendant que la Grande-Bretagne deviendrait le pays le plus peuplé de l’Union avec 80 millions d’habitants. La France gagnerait 10 millions d’habitants (75 millions d’habitants en 2060).

Ces plans sur la comète justifient la politique très technocratique de Juncker consistant à « sauver » l’Europe par l’importation d’une main-d’oeuvre non européenne. C’est dans cette perspective que Juncker a pris l’initiative d’une politique migratoire plutôt volontariste.

On comprendra toutefois qu’accueillir 20.000 réfugiés qui traversent la Méditerranée en bateau ne suffit pas à remplir l’objectif de 1,5 million d’immigrés par an. Mais l’intention y est et certains, à gauche, ont salué un geste fondateur de la part de Juncker. L’Europe ne tient décidément plus à grand chose.

Les Européens dans le réflexe isolationniste

Immédiatement, la proposition Juncker a fait bondir les principaux contributeurs à l’effort migratoire. Les Européens vivent dans l’illusion qu’ils pourront contenir les migrants avec un coup de baguette magique, exactement comme l’empire romain eut l’illusion de pouvoir contenir les invasions germaniques.

La Grande-Bretagne, qui est déjà proche du « Brexit », a annoncé qu’elle ferait jouer son droit de retrait (comme l’Irlande et le Danemark) et s’exonérerait des décisions de la Commission, prônant le renvoi des migrants dans leur pays d’origine. Il devrait rapidement rassemblée d’autres pays de l’Union, comme la Finlande, sur cette ligne. C’est un peu fâcheux, puisque le mécanisme de répartition concocté par Juncker prévoyait que la Grande-Bretagne prendrait à sa charge 12% des réfugiés, soit 2.300 personnes. Si le plan Juncker passe de l’utopie à la réalité, il obligera donc l’Allemagne, la France et l’Italie à fournir un effort supplémentaire pour réparer le lâchage britannique.

Cette perspective n’a guère enchanté Manuel Valls qui s’est précipité à Menton pour déclarer qu’une politique de quotas n’était pas une bonne idée. La posture est un peu hypocrite, puisque la France propose un mécanisme proche, mais la France a apporté sa voix à la doctrine isolationniste de ses partenaires.

La France s’affaiblit par son isolationnisme

La frilosité française à accueillir des réfugiés venus de Méditerranée constitue une nouvelle rupture avec notre doctrine traditionnelle et marque un nouveau recul dans notre rayonnement international. Les réfugiés que la France refuse d’accueillir proviennent pour l’essentiel de Syrie et d’Irak. Tous fuient la poussée de l’Etat islamique qui les promet aux pires cruautés et à la barbarie.

Depuis l’an mil, la France a toujours été au coeur de l’intervention militaire dans cette région du monde pour protéger les populations chrétiennes. Cet interventionnisme a connu une nouvelle vigueur au dix-neuvième siècle, époque où Napoléon III a renoué avec une présence forte au Liban et en Syrie. Sous l’effet d’une droite bornée qui fait des calculs d’épiciers (à la Eric Ciotti), la France est aujourd’hui en train de réduire son intérêt pour cette région à une simple posture de Marseillais (« il faut dire beaucoup de mal des Musulmans qui persécutent les Chrétiens d’Orient ») accompagnée d’un immobilisme absolu (« surtout, ne levons pas le petit doigt pour leur donner asile »).

Or, s’il existe bien un pays qui, en Europe, se suicide en pratiquant l’isolationnisme, c’est la France. Plusieurs siècles de présence dans le monde sont en train d’être ruinés par une génération de politiciens médiocres incapables de voir plus loin que leur prochaine réélection.

Sic transit gloria mundi.

L’Allemagne veut un « Grexit », cet hyper-isolationnisme

Si l’Allemagne s’est pour l’instant montrée discrète sur la question des migrants, elle se consacre avec beaucoup plus d’énergie à son isolationnisme à elle: protéger l’euro contre les indésirables laxistes budgétaires, à commencer par les Grecs.

Grâce à la Banque Centrale Européenne (et au FMI), la Grèce est parvenue à masquer sa faillite cette semaine. Facialement, elle a honoré une traite de 700 millions€ auprès du FMI et elle a payé les 500 millions€ de salaires dus à ses fonctionnaires. En réalité, elle a acquitté ses obligations avec de la monnaie de singe: 100 millions viennent du droit de tirage dont elle dispose auprès du FMI, et le reste est venu d’un emprunt à court terme souscrit par les banques grecques avec la bénédiction (et l’argent) de la BCE.

Il n’en fallait pas plus pour faire hurler le camp prussien (auquel la France adhère béatement). Le gouverneur de la Buba, le hurlant Weidmann, a critiqué cette aide (de moins en moins) discrète de la BCE.

«Vu l’interdiction (qu’a la BCE, selon son mandat) de financer directement les Etats, je ne trouve pas normal que l’on consente à des banques, qui n’ont pas accès aux marchés, des crédits, par lesquels se finance leur pays, qui lui-même n’a plus accès aux marchés», a résumé le président de la Bundesbank, dans un entretien au quotidien économique allemand Handelsblatt.

Il a reçu le soutien du gouverneur de la banque autrichienne, pendant que le rutilant Varoufakis saluait le combat acharné de Mario Draghi contre les Allemands.

Sur le fond, le camp prussien exige toujours de la part des Grecs une réforme des retraites et de la TVA, jugées comme une « ligne rouge » par Tsipras.

Tsipras et la tentation du plébiscite

Pour Tsipras, la situation est de plus en plus compliquée à gérer. Soit il veut rester dans la zone euro, et il devra bien plier aux exigences de l’Allemagne, soit il reste fidèle à ses engagements électoraux et c’est la crise ouverte avec les partenaires européens. Ses petits camarades le lui ont rappelé jeudi soir lors d’une réunion houleuse au Parlement grec. Les députés de Syriza auraient pris leur Premier Ministre à partie en lui reprochant de trahir le programme sur lequel il a été élu. « Les lignes rouges du gouvernement sont aussi les lignes rouges du peuple grec », lit-on dans un communiqué publié à la sortie de cette réunion…

Du coup, Tsipras a entrouvert une porte sur la TVA, mais a annoncé qu’il ne cèderait pas sur les retraites.

Ces dissensions internes n’en sont qu’une parmi d’autres pour un gouvernement confronté à une nouvelle récession. La construction d’une mosquée à Athènes a donné l’occasion, à la coalition gouvernementale, de se déchirer publiquement lors d’un vote au Parlement: les députés du parti de l’indépendance grecque ont voté contre le projet d’un gouvernement auquel ils appartiennent.

Une solution, pour Tsipras, consisterait à soumettre à un referendum les concessions qu’il pourrait lâcher aux Européens. Cette voie lui permettrait de valider directement auprès des citoyens le prix à payer pour rester dans la zone euro. Une stratégie du quitte ou double pour l’ensemble de l’Union…

Et pendant ce temps on cause partenariat oriental

La semaine prochaine doit se tenir à Riga un sommet européen au cours duquel le « partenariat oriental » doit être évoqué. Ce partenariat vise à rapprocher certains anciens territoires soviétiques (Moldavie, Arménie, Ukraine…) de l’Union. Quelle est l’opportunité de provoquer la Russie alors que l’Europe est incapable de gérer ses relations avec le Moyen-Orient?

Certains mauvais esprits y verraient sans doute l’intention plus ou moins assumée de détourner l’attention des citoyens européens vers un conflit plus ou moins armé avec la Russie, prétexte pour agrandir notre sphère d’influence.

Cette Europe centrée sur la Prusse est décidément vouée au pire. En attendant que des propres démons financiers ne la foudroient de l’intérieur.

http://www.eric-verhaeghe.fr/les-europeens-en-pleine-crise-disolationnisme/