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difficulté scolaire, facteur d’harmonie sociale, La langue, outil d’intégration et d’identification, permet la communication
AMBROGI Pascal-Raphael
La langue est le premier outil d’intégration et d’identification à la République. Son indispensable maîtrise est la clef de l’insertion sociale et professionnelle. Au-delà, une langue correcte permet la communication. Au service du sens et de la nuance, le respect du bon usage la renforce ; l’histoire aussi, celle de la langue et des mots chargés d’évocations, de références : ainsi, en enseignant la littérature, la poésie et le théâtre, on offre aux hommes les clefs d’un univers aux richesses inépuisables. L’action culturelle est, à l’évidence, un levier majeur à privilégier pour renforcer la maîtrise de la langue.
Avoir le goût des mots, c’est aussi se passionner pour la forme écrite de la langue. Le français s’y identifie. C’est un vaste ensemble, borné par les premiers mots de nos enfants, l’inventivité des plus jeunes, les audaces de la rue et de la vie, et les attentions des amis du bon usage. Ces affrontements perpétuels nous laissent entrevoir une langue réputée belle et achevée, qui partage l’espace de notre vie et de nos actions avec un français commun, riche de qualités et de défauts dont il importe simplement d’avoir conscience. L’ensemble est bien vivant. Il sert les rapports entre les hommes.
Les mots, dans leurs évolutions subies, et les termes nouveaux reflètent notre idéal ou nos conceptions : la vie des mots nous ressemble. On ne s’étonnera pas qu’ils évoluent avec l’histoire. On souhaite cependant que cette évolution ne conduise pas les mots à renier leur origine, source de confusion. Certains glissements reflètent des transformations de la société et méritent d’être considérés et acceptés. Il est, en revanche, des simplifications abusives qui contraignent et qui perturbent la communication entre les êtres.
L’effacement progressif de nombreux mots ne doit cependant pas conduire à la rupture du contact : l’homme qui s’exprime use ainsi d’un dosage d’habitudes et de valeurs, d’une somme cumulée qui font d’une langue un tout culturel qu’on se doit d’appréhender.
Dans le jardin des mots, pour rappeler les travaux de Jacqueline de Romilly, les valeurs se pénètrent et se rejoignent. Les mots ont une résonnance affective où paraissent leur histoire, leur usure et leurs parentés. Au fil des questions posées, des nuances insoupçonnées se font jour et il n’est pas jusqu’aux petites incohérences de l’usage qui ne révèlent la complexité de la vie d’une langue.
Les langues souffrent et parfois périssent sous les assauts répétés qui blessent leurs mots, gomment les nuances et érigent le renoncement, l’uniforme en valeurs premières. On vante des vecteurs passe-partout de la pensée, des mots vides de sens qui viennent ponctuer des discours qui le sont tout autant. À ces vides s’ajoutent les blancs dans l’expression qui révèlent ceux de la pensée : là encore, une expression vague ne peut se préciser qu’à l’aide de mots, de leur emploi ordonné, délibéré et ponctué.
La rigueur de la pensée ne doit pas cesser d’être recherchée. On l’exerce par l’attention donnée au langage. Il importe d’en défendre un usage correct et d’en donner un exemple salutaire. La constitution, la loi nous imposent en la matière un devoir d’exemplarité. Du respect de notre propre langue naîtront la capacité à la protéger et à en promouvoir l’emploi et la garantie contre un appauvrissement, fait d’un usage commun défaillant. La protéger encore d’un danger qui, sous l’ampleur des inéluctables mouvements du monde, nous fait craindre un envahissement anglo-américain fort éloigné des contributions jugées indispensables qui seules enrichissent. On répond au phénomène d’anglicisation (syntaxique et lexical) avec un certain laxisme. Marc Fumaroli nous l’a maintes fois expliqué, la rapidité de la réaction est pourtant primordiale dans la lutte contre ce phénomène. Le rôle du dispositif d’enrichissement et de terminologie est fondamental. Il maintient la capacité du français à exprimer le monde. Les avancées terminologiques sont sources précieuses de l’adaptation de la langue aux diverses mutations. Enrichir le vocabulaire est une tâche d’utilité publique qui favorise l’appréhension d’une réalité en évolution constante. Cet exercice permet au français de demeurer universel ; il se transforme, ses mots se chargent de nuances, de valeurs et de sens nouveaux. À la signification première, parfois omise, les évolutions de la société offrent des détours inattendus. En marge des apports pédants et superflus, qui se nourrissent de nos fautes confortées par les modes, d’estimables contributions au profit de l’expression sont fidèles à notre histoire et riches de sens.
Les langues, revenant toujours à leurs sources, vivent, innovent et inventent. Deux courants entraînent les usagers que nous sommes, celui de la tradition, des règles et des interdits imposés par le bon usage, et celui de la modernité qui conduit à innover hors des sentiers autorisés. Nous nous laissons prendre aux fascinations de ces tendances complémentaires. L’histoire du français nous montre que sa capacité à créer et l’acceptation des évolutions pensées s’allient à la fidélité aux sources mêmes.
Tout ce qui contribue, par un effort maîtrisé, à l’enrichissement de la langue française, doit être encouragé. Il importe ainsi de décrire le bon usage, d’en expliquer les fondements, les apports et, en même temps, de blâmer le mépris où certains le tiennent encore. Tout ce qui accompagne cette démarche, par l’appauvrissement induit, entravant le développement des relations du français avec les autres langues, brisant sa vocation d’échange entre les cultures, doit être combattu.
Les langues et les cultures sont inséparables. Or elles sont menacées. Des cinq mille langues parlées dans le monde, cinq cents subsisteront à court terme, condamnées par l’émergence et l’uniformisation d’une langue anglo-américaine, approximative et déformée, en rupture avec toute culture. Cette redoutable évolution peut cependant représenter une chance pour le français. Aidons-le à réagir. Débarrassons-le d’altérations accumulées, d’emprunts indignes, de constructions hasardeuses pour redécouvrir et entretenir le « bon usage ».
Une langue communément compréhensible, facteur d’harmonie sociale, d’expansion culturelle, une unité linguistique préservée constituent le socle de notre identité culturelle et sémantique, en France et dans le monde. C’est sans doute par la fréquentation des grands textes, à la lumière de la France, que l’on pourra éclairer l’avenir de notre langue. Gardons-nous des simplifications abusives, sauvegardons les formes que, par crainte d’employer, nous laissons sombrer, vantons la littérature française, sa grâce et la force de ses constructions.
Cette langue, qui reflète une société active, joue un rôle primordial dans le parcours de formation des individus. On notera que, dans neuf cas sur dix, la grande difficulté scolaire est liée à l’incapacité de maîtriser la langue écrite et parlée.
La langue favorise, répétons-le, l’inscription dans la communauté nationale : notre patrie, c’est aussi le français, « langue éternelle » selon Renan, pourtant menacée par la montée d’une uniformisation inutile et coupable. Car la langue s’appauvrit sans cesse du fait des erreurs de ceux qui la malmènent, d’une soumission coupable aux impératifs du « politiquement correct », des modes, de la démagogie médiatique, du défaut de respect de la loi et du devoir d’exemplarité imposé à tous. C’est ainsi que la pensée perd de sa force, délayée dans l’imparfait et l’inutile, dévalorisant les apports indispensables, les substitutions à notre vocabulaire de vocables vains et les altérations irrémédiables de la syntaxe. C’est ainsi que s’appauvrissent les langues : progressivement, mais sûrement, ce sont toutes les nuances, la force et l’élégance du français qui seront perdues.
Pourquoi considérer l’œuvre du dispositif d’enrichissement de la langue française, d’une part, et négliger la défense de l’irremplaçable acquis et les trésors de la langue française, d’autre part ? Que l’usage modifie la langue en répondant aux justes pressions imposées par les modifications juridiques, technologiques ou sociales est une chose ; que l’usage le fasse par défaut de culture, d’éducation et de formation des locuteurs en est une autre. La langue française est évidemment très dépendante de la qualité de la transmission des savoirs qui incombe aux parents et aux enseignants. Formons-les.
Réapprenons à parler comme on doit écrire. Extirpons de l’âme collective le désir d’une langue. Réveillons celle qui sommeille en nos enfants pour nourrir leurs rêves, leur donner le goût de la nuance et l’envie de la subtilité. Un vocabulaire ample, c’est la vie et ses horizons qui s’élargissent au gré des mots et d’une pensée vivifiée pour le plus grand bien de l’imaginaire.
Des enseignements furent oubliés, des vocables sont morts de n’être plus employés : notre avenir est pourtant dans les mots. Une langue peut ainsi pâtir du mauvais usage, de l’abus des incorrections, du poids de l’uniformité et du défaut d’exigence.
Pour parler français, il suffit d’aimer la France et de nourrir pour elle une ambition. Dans cette belle perspective, la Francophonie est en action pour la langue française. Elle a pris la mesure de la situation du français et de sa légitimité à agir pour sa promotion.
Le français n’est pas devenu une grande langue internationale en raison de sa seule beauté, mais parce qu’il était utile et nécessaire à quelques centaines de millions de citoyens de tous les pays. Il véhicule, depuis des siècles, toutes les facettes de la modernité.
En un temps où la France connaît certainement une crise de puissance, nous devons tous préserver le français. Il est le moyen de notre rayonnement dont seule une orthographe précise assure le sens et la clarté. La garde de la langue est un impératif.
La politique de défense et de promotion du français doit être commune et multilatérale dans ses priorités. Du succès de ces actions, dirigées notamment vers la jeunesse, dépend l’adhésion que le français va susciter auprès des générations futures. Si le français relève les défis de demeurer une langue de communication internationale et d’être reconnu à la fois comme langue de culture et comme instrument de développement économique, sa perception évoluera dans le bon sens.
Le français est la langue du passé et de l’histoire, mais il est aussi une langue du présent et la langue du futur. Il nous importe qu’il soit plus utilisé, mieux parlé et compris partout dans le monde. C’est un lien de parenté entre les êtres qui vaut toutes les idéologies.
Le français est affaire de volonté et d’ambition.