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par Rémi Mogenet

La ministre de l’Éducation française a suivi la tradition obligée: chaque gouvernement produit sa réforme de l’école; il a fallu qu’elle s’y mette. Consciente des vrais problèmes qui se posent, elle a déclaré que l’ennui des élèves était la cause principale du déclin de l’institution séculaire. Certains affirment que l’ennui des élèves vient de ce qu’on ne les fait pas assez travailler; mais il n’en est rien: Najat Vallaud-Belkacem a raison.
Beaucoup de solutions ont été données. Toutes ont été critiquées par les réactionnaires du Figaro et de Marianne. Pourtant, certaines paraissent bonnes. La plus grande autonomie des établissements et des professeurs pour fixer les emplois du temps et une part des programmes, est la meilleure de toutes. En histoire, on s’est plaint que certains pans de la Chronologie n’étaient plus obligatoires. Mais on a eu tort. Car l’ennui des élèves vient en particulier de ce que les enseignants suivent mécaniquement un programme trop détaillé. Le professeur est motivé par certaines époques, par certains pays, plus que par d’autres. Il ne peut communiquer sa passion que s’il est libre. Il n’est pas vrai qu’il existe des pans nécessaires de l’histoire. Ce qui compte, pour les élèves, n’est pas l’endoctrinement, l’image d’une France éternelle et glorieuse, allant pas à pas vers l’éternité qu’elle mérite: non; c’est, du passé, tirer un enseignement sur le monde.
Le passé est clos sur lui-même: les histoires y ont toujours un début, un milieu, une fin. L’histoire est un art, car elle n’apprend pas les faits obligatoires à savoir, mais ceux qui font sens, donnent une teinte morale aux événements; or, elle n’est perceptible que pour les lieux et les temps qui déclenchent un sentiment fort, une émotion. Seulement de cette façon l’ennui pourra disparaître.
Ce qui émane du sentiment de l’enseignant peut se communiquer à l’élève; or, le sentiment a cessé d’être collectif: il est devenu individuel; ce qui est collectif dans les programmes est donc porteur de vide, et ne peut toucher les jeunes.
Les tentatives de créer de l’interdisciplinarité ont été remises au goût du jour, également; j’en ai parlé, déjà. Une bonne mesure, en soi, car il n’y a qu’un seul monde, que les différentes disciplines ne font
que regarder sous différentes facettes. Le lien entre les sciences dites exactes et les sciences humaines notamment doit apparaître: car l’homme est autant une intériorité qu’une extériorité, mais le monde aussi; et Teilhard de Chardin sut faire vivre l’univers en montrant que les atomes eux-mêmes avaient une ébauche de psychisme. La Philosophie de la Nature élaborée dans l’Allemagne romantique est bien la seule voie qui puisse amener les élèves vers la science sans ennui; et elle donnait à l’univers une âme. Mais si les enseignants ne sortent pas d’eux-mêmes des conceptions restrictives et scientistes, les contraindre à l’interdisciplinarité ne servira à rien: ils exécuteront la chose sans enthousiasme, et l’ennui des élèves redoublera. La mesure n’est bonne qu’en théorie. D’ailleurs on peut douter que François Hollande lui-même soit un disciple de Teilhard de Chardin!
Enfin, le numérique ne sauve de l’ennui que brièvement, et illusoirement: passé l’émerveillement face à ce qui est nouveau, le problème de fond se pose encore, même avec plus d’acuité.
Les idées de Najat Vallaud-Belkacem sont bonnes, mais les solutions qu’elle apporte sont d’une portée limitée. Seule l’autonomie plus grande face aux emplois du temps et aux programmes apparaît comme un bienfait. Mais en réalité, cela suffit à donner plutôt tort aux détracteurs de la réforme.
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