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Martin Hirsch

INTERVIEW – Le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) Martin Hirsch a affirmé qu’il ne voulait « pas un hôpital sans RTT » et ferait des propositions « équilibrées » en ce sens, à quatre jours d’une grève appelée par les syndicats contre son projet de réforme des 35 heures.

Pourquoi voulez-vous renégocier le temps de travail dans les Hôpitaux de Paris?
C’est indispensable. D’abord, notre organisation du travail doit être adaptée aux besoins des patients, avec des plages d’ouverture adéquates. La prise en charge a changé : il y a l’hôpital de jour, les soins ambulatoires, l’accès aux plateaux techniques, aux IRM… Il est épouvantable de dire à une personne en salle d’attente qu’on ne peut pas la prendre après 16 heures. Deuxième raison, pour préserver l’emploi et éviter de couper dans les effectifs tout en respectant le cadre budgétaire fixé par la loi de financement de la Sécurité sociale. La troisième raison, c’est la qualité du travail. Notre organisation génère de la tension, un absentéisme d’usure, une instabilité quand on change les plannings au dernier moment et que l’on doit faire revenir des agents sur leurs jours de congés. Il y a une grande insatisfaction des conditions de travail.

Que pèsent les RTT à l’hôpital, selon vous?
Il faut des RTT, et les propositions que nous mettrons sur la table maintiennent des RTT. Je ne veux pas un hôpital sans RTT. Mais aujourd’hui, ces jours s’accumulent dans des comptes épargne-temps (CET), ils ne peuvent pas être pris ou bien ils nous conduisent à prendre des intérimaires. Le vrai sujet, c’est que l’hôpital est passé aux 35 heures sans changer son organisation. On a gardé les mêmes horaires en se disant qu’on verrait bien… Cela a tenu dix ans, cela ne tient plus du tout. Du coup, on traite les problèmes avec quinze ans de retard et de rancœurs accumulées.

Les syndicats estiment qu’ils vont perdre jusqu’à 10 jours de RTT, voire davantage dans certains cas. Est-ce exact?
Je n’ai pas d’hypothèse aussi élevée. Nous n’avons pas encore fait de propositions, nous avons fait le choix de commencer par un diagnostic qui a été présenté aux syndicats. J’entends circuler la rumeur selon laquelle on supprimerait toutes les RTT, que tout le monde serait soumis au régime de sept heures par jour et même qu’on aurait eu l’idée saugrenue de fractionner les journées de travail. Ce n’est pas vrai. Nous ferons des propositions équilibrées. Nous raisonnons d’abord en fonction des activités médicales, de ce qui correspond aux besoins des patients, pour savoir quels schémas horaires sont les plus adaptés.

Avancez-vous des contreparties?
Dans la négociation, je ne sais pas détacher la question des efforts de celle des contreparties que nous devons proposer. Certains syndicats, il y a quelques années, réclamaient dans le secteur privé un partage des profits en trois. Nous pouvons nous en inspirer dans le secteur public. Une part des gains de nos efforts doit aller à la maîtrise des dépenses, c’est-à-dire revenir aux assurés sociaux, qui nous financent par leurs cotisations maladie et leurs impôts. Une deuxième part peut aller vers les investissements, les nouveaux matériels, l’humanisation des locaux. Et une part revenir vers les agents à travers une amélioration des conditions de travail, des garanties sur l’emploi, un renforcement de l’encadrement de proximité car les cadres de santé sont au cœur de toutes les tensions de l’hôpital et nous devons les aider. Ce sont de vraies contreparties, à discuter.

En cas d’échec, passerez-vous en force?
Passer en force, cela voudrait dire ne pas écouter. Or nous écoutons à la fois les inquiétudes et les demandes de changement. Cela voudrait dire ne pas proposer de contrepartie aux agents. Or nous en proposerons et nous serons ­attentifs aux priorités exprimées par le personnel, comme nous l’avons été en intégrant des propositions de la CFDT dans le récent accord sur la déprécarisation que ce syndicat a signé. Passer en force, cela signifierait imposer un plan, à prendre ou à laisser. Or nous mettrons plusieurs options sur la table, pour qu’il y ait matière à négocier. Nous ne cherchons pas à vaincre des ennemis, mais nous ferons tout pour convaincre des partenaires avec des propositions équilibrées et équitables. Le Parlement a voté un cadre budgétaire. Nous devons le respecter. Je fais le choix de ne pas retenir la suppression d’emplois, et donc la moindre qualité des soins, comme variable d’ajustement. Je ne cherche pas à cacher quoi que ce soit, on ne m’a pas donné l’ordre d’agir de cette façon. En conscience, je pense que c’est la voie la plus juste socialement.

Les 35 heures sont-elles un tabou?
Je ne me situe pas dans le combat idéologique que certains veulent mener, mais dans une démarche très pragmatique. La question n’est pas de s’attaquer aux 35 heures, mais de mieux les gérer. Je ne supporte pas le discours sur les prétendus privilèges des fonctionnaires hospitaliers. Rencontrez des aides-soignantes, des infirmières, vous ne verrez pas des privilégiés! Notre seul privilège, c’est de participer à un service public qui soigne tout le monde et auquel nous sommes viscéralement attachés. Et mon seul totem, que je partage avec toute la communauté de l’AP-HP, c’est un hôpital public qui s’adapte pour que le progrès médical bénéficie à tous, même quand les ressources sont plus rares.

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