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En parallèle avec la réforme des collèges, le gouvernement français s’est avisé de présenter les futurs programmes de l’école et du collège… Ce toilettage a débouché sur une bronca inattendue des historiens contre les programmes d’Histoire. C’est que l’enjeu dépasse le strict cadre de l’enseignement.

La précédente refonte des programmes d’Histoire a eu lieu en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Déjà alors, elle avait suscité de très vives protestations, en particulier à droite où l’on soupçonnait les auteurs des programmes d’avoir voulu faire passer leur vision personnelle de l’Histoire, avec un accès privilégié aux cultures exotiques au détriment de l’histoire nationale.

Ainsi, en 5e, le temps total consacré à l’histoire devait se répartir comme suit :
– 10% aux débuts de l’islam,
– 10% au Moyen Âge occidental,
– 10% à l’Afrique noire médiévale,
– 40% à la Renaissance et au XVIIe siècle, le reste à la libre initiative de l’enseignant.

Pour éviter que se renouvelle la contestation, le gouvernement a confié en 2013 la responsabilité des futurs programmes à un groupe de personnalités de tous horizons nommé par le gouvernement, le Conseil Supérieur des Programmes.

Mais celui-ci, étrillé par le ministère et les « experts », a eu bien du mal à contenir les exigences des uns et des autres. Et c’est de son sein que sont venues les premières protestations contre les nouveaux programmes d’Histoire destinés au cycle 4 (de la 5e à la 3e).

Ces protestations ont été très vite relayées par des personnalités honorables, de l’historien Pierre Nora à l’ex-ministre Jack Lang, en passant par les historiens Jean-Pierre Azéma et Patrice Gueniffey, les philosophes Michel Onfray et Alain Finkielkraut etc.

Désarçonné, le gouvernement a promis de ne rien figer avant la mi-juin. Mais il n’est pas sûr qu’il accepte autre chose que des changements cosmétiques.

Le programme d’Histoire contesté

Voici un extrait de l’arrêté officiel du 19 mai 2015 qui décrit les nouveaux programmes d’Histoire du « cycle 4 » (5e, 4e, 3e) : Programmes d’Histoire du cycle 4

L’Histoire mérite-t-elle tant d’émois ?

Jusqu’au Second Empire, les enfants qui avaient le privilège d’accéder à l’enseignement supérieur étudiaient essentiellement l’Histoire gréco-romaine et les vies des hommes illustres de l’Antiquité. Depuis la IIIe République, la France se singularise par l’importance donnée à l’enseignement de l’Histoire nationale, telle qu’elle s’est forgée autour de Paris, des rois capétiens et de leurs successeurs.

La raison en est double. D’une part, cette Histoire est aussi passionnante que grandiose. Depuis le XIIe siècle, presque sans discontinuer, la France a été le fer de lance de la civilisation occidentale, en concurrence avec sa sœur ennemie, l’Angleterre. Aucun autre pays ne peut faire état d’un tel bilan, n’en déplaise à nos amis belges ou suisses.

D’autre part, et c’est sans doute le plus important, la France est un pays composite constitué au fil des siècles par la dynastie capétienne. Par les mariages et les conquêtes, celle-ci a placé sous sa tutelle des populations que rien ne prédestinait à vivre ensemble, des Bretons aux Alsaciens en passant par les Flamands, les Corses, les Basques etc.

La langue française, qui fait l’unité de la nation, est elle-même une création de la Cour. Ce sont les poètes et les écrivains attachés au roi qui, du XVIe au XVIIIe siècles, l’ont forgée et polie. Ce sont les ministres… et les maîtresses royales qui en ont assuré la diffusion. Nous songeons ici à l’Académie française de Richelieu ou encore à l’école de Saint-Cyr de Mme de Maintenon. C’est enfin la Révolution qui l’a imposée à tous les citoyens.

En dépit de leurs différences, les Français de l’Ancien Régime étaient unis par l’attachement à la personne royale et à la dynastie, comme c’est encore le cas en Angleterre… ou en Belgique.

Avec l’installation définitive de la République, il a bien fallu suppléer à cet attachement personnel pour maintenir la cohésion de la Nation. Les symboles tels que Marianne ou La Marseillaise n’y suffisant pas, c’est l’Histoire nationale qui a fait office de liant.

Jules Michelet (1798-1874) a proprement construit cette Histoire : « La France est une personne ». Ernest Lavisse (1842-1922) l’a diffusée auprès des écoliers : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle, et parce que l’Histoire l’a faite grande ». Quel enfant, fut-il originaire du Congo ou d’Afghanistan, résisterait à pareille injonction s’il se trouvait encore un enseignant pour oser la formuler ?

L’Histoire, un enjeu central

Ce qui se joue dans les programmes d’Histoire et émeut tant d’intellectuels concerne rien moins que l’avenir du pays.

Depuis deux décennies, sous le double effet de la construction européenne et de l’immigration, la France et la plupart des autres pays d’Europe continentale tendent à se dissoudre dans un vaste ensemble européen et à se fragmenter en une mosaïque de communautés.

Soit on entérine ce mouvement et l’on se laisse porter par le courant, soit on choisit de le maîtriser de façon à conserver une France unie et fraternelle au sein d’une Europe solidaire et respectueuse des identités nationales.

La première option est celle de certains « experts » à l’origine des programmes d’Histoire et du président du Conseil Supérieur des Programmes, Michel Lussault, qui a ainsi déclaré : « Faut-il enseigner une nation française mythique qui n’a jamais existé ? »

Ces fortes paroles nous éclairent sur la volonté insidieuse de nos pédagogues de réduire l’Histoire nationale à ses pages les plus sombres. Leur démarche en devient parfois caricaturale. Par exemple, le thème 3 des futurs programmes du CM2 traite du XXe siècle européen avec cette précision : On aborde la question du génocide des Juifs dans le cadre de la France ! Pour le coup, les rédacteurs des programmes oublient le caractère européen et plus précisément allemand de la Shoah, comme s’il s’agissait de laisser croire à des enfants de dix ans que nos aïeux sont les principaux responsables de ce crime…

La messe est dite. Lavisse, Michelet et tous les grands républicains que feignent encore d’honorer nos gouvernants peuvent aller se rhabiller, ainsi que le mulâtre Alexandre Dumas, petit-fils d’esclave, qui aimait la France et son Histoire charnellement comme bien peu de nos politiciens actuels !

Mais il n’est pas sûr que les incantations sur les « valeurs républicaines », le « vivre ensemble », la « tolérance » et le « droit au blasphème » comblent le besoin de sens des enfants « black-blanc-beur » de nos banlieues populaires… Tout cela ne les fera jamais autant rêver que le pourraient les aventures des moines de Cluny et des constructeurs de cathédrales, de Jeanne d’Arc, Jacques Cartier, D’Artagnan, Joséphine et quelques autres.

C’est pourquoi nous plaidons pour la seconde option en considérant qu’il n’a jamais été plus nécessaire et plus urgent de ressouder la communauté nationale. L’enseignement de l’Histoire peut nous y aider en rassemblant autour du « roman national » (l’expression est d’Ernest Lavisse) les petits Français de toutes couleurs et de toutes religions comme autrefois elle a rassemblé les Français bretonnants, flamingants, germanisants, corses et autres…

Il ne s’agit pas ce faisant de tricher avec l’Histoire mais simplement de l’enseigner en se demandant comment les habitants de ce pays, génération après génération, ont accompagné les grands mouvements civilisateurs : transformations culturelles, spirituelles, économiques et sociales, aventures individuelles, initiatives politiques et équipées militaires.

Cette démarche, qui insiste sur l’enchaînement des causes et des conséquences, forge l’esprit d’analyse. Elle est assurément plus pertinente qu’un saupoudrage de connaissances avec ici un peu d’Afrique médiévale, là un peu de Chine ou d’Inde antique. Elle offre en prime aux élèves les plus motivés de bonnes bases pour élargir plus tard leurs connaissances historiques.

Plus important que tout, elle peut contribuer à réunir les habitants de l’Hexagone autour de ce qu’il est convenu d’appeler une Nation, mythologie créatrice aussi essentielle à notre épanouissement que l’art ou la poésie.

Joseph Savès