
Quand la reine d’Angleterre – j’y reviens – prononce chaque année à l’occasion de la rentrée parlementaire le discours du trône, nul n’ignore – et elle-même moins que personne – ni ne saurait ignorer que Sa Gracieuse Majesté ne fait que lire le texte qu’a rédigé à son intention le Premier ministre, et qu’il n’est pas question que la souveraine laisse transparaître la moindre approbation ou improbation, sous peine de franchir les étroites limites de son domaine constitutionnel. Aussi prend-elle bien soin de demeurer totalement impersonnelle, et c’est d’une voix de poupée mécanique qu’elle informe ses loyaux et affectionnés sujets des orientations politiques de son gouvernement.
Le président de la République française, qui reste décidément l’une des dernières monarchies européennes, n’est évidemment pas tenu à de tels ménagements. Aussi n’est-ce qu’en raison de la flagrante absence de talent oratoire, de souffle, voire de conviction(s) qui le caractérise que François Hollande, ce Zélig de la social-démocratie, a récité, pour ne pas dire ânonné, le petit bijou que lui avaient ciselé les « plumes » de l’Élysée.
Le prétexte en était, comme on sait, la panthéonisation d’un pur héros, de deux femmes exceptionnellement courageuses et d’une victime de la Milice. Mais les vedettes du jour étaient-elles vraiment, dans l’esprit de l’ordonnateur, des metteurs en scène et des scénaristes du spectacle, Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion et Jean Zay, ou François Hollande lui-même qui, dans le cadre de sa campagne électorale, cherche désespérément à apparaître sous les traits d’un rassembleur, d’un personnage historique, du père de la nation ?
Le texte lui-même, sans atteindre (et de loin) les hauteurs où planait André Malraux, un jour de décembre 1964, était tout à fait convenable. Çà et là, on voyait bien que les auteurs avaient lu l’homélie magnifique de celui qui fut un écrivain et un combattant, et les renvois ou les emprunts à ses grandes envolées en témoignaient assez. L’interprète principal n’était pas, lui, à la hauteur de la circonstance qu’il avait créée. On a pu constater, une fois de plus, que l’homme à la cravate de travers (ce qui est moins inquiétant, convenons-en, qu’un couteau entre les dents) n’est pas franchement à l’aise avec les grands mots dans lesquels il essaie tant bien que mal de se draper – « Résistance », « République » -, et que probablement en raison d’une allergie du reste assez répandue, il est incapable de prononcer le mot « patrie ».
Il n’était pas non plus indispensable, bien qu’il ait cru devoir le faire, de chausser de gros sabots pour truffer son oraison d’allusions à l’actualité et d’enrôler, par exemple, Jean Zay dans les rangs des partisans de la réforme du collège. Il est ridicule de prétendre introduire la parité sous les voûtes du Panthéon. Ce n’est pas en fonction du sexe, du genre ou de je ne sais quelles autres particularités génétiques que l’on a droit à l’hommage de la patrie reconnaissante. La place réduite que la société a trop longtemps faite aux femmes explique seule qu’elles soient moins présentes que les mâles dans la mémoire collective. La société ne sera devenue adulte que le jour où il n’y aura pas besoins de quotas pour distinguer et honorer le mérite, qu’il soit masculin ou féminin. Nous n’en sommes pas là, mais le remède ne consiste pas à introduire jusque dans nos livres d’histoire et sur nos places publiques, en manière de réparation, la discrimination positive.
Il y a plus grave. Journaux, radios et télévision ont affirmé que la cérémonie d’hier avait fait entrer la Résistance au Panthéon. Cette affirmation, deux fois audacieuse, et deux fois erronée, me plonge dans la perplexité. La Résistance, il me semblait pourtant qu’elle était déjà présente, et avec quelle grandeur symbolique, sous les voûtes de Soufflot depuis qu’un certain Jean Moulin qui fut son chef historique, jusqu’à la mort, y fit son entrée, symboliquement. C’était il y a cinquante ans.
Si François Hollande, avait le sens de l’Histoire et de la France, il n’aurait pas borné son choix aux quatre personnalités qu’il a sélectionnées en fonction de critères idéologiques étroits : un socialiste, une intellectuelle de gauche, une gaulliste, mais « sociale », un radical de gauche. C’est jouer petit bras, c’est se cantonner dans l’historiquement correct. Si la Résistance eut un sens, si elle fut et demeure un moment du roman national et de l’unité française, c’est dans la mesure où elle groupa et réunit, dans des circonstances tragiques, dans des circonstances exceptionnelles au-delà et en dehors des clivages partisans, celui qui croyait au Ciel, celui qui n’y croyait pas, et pas seulement les membres de la future majorité plurielle, mais le gaulliste, le communiste, le trotskiste, le maurrassien, le nationaliste et l’immigré. Comme la Révolution selon Clemenceau, la Résistance fut un bloc et ce ne sont que de mesquines considérations politiciennes qui ont exclu des célébrations d’hier ou d’avant-hier Gabriel Péri et Honoré d’Estienne d’Orves, le colonel Fabien et le colonel Rémy, le père Bruckberger et Jacques Decour.
Seulement, pour comprendre et oser cela, il faudrait une dimension qui manque cruellement à l’actuel chef de l’État : la grandeur.
Alors, si la France était autre chose qu’un mot dans un discours, si elle s’incarnait, si elle parlait, elle lui dirait simplement, sans méchanceté mais sans indulgence : « Sors d’ici, François Hollande, t’es bien trop petit, mon ami. » Dame, oui.