Étiquettes

Depuis deux jours, tout le monde vante avec raison la clarté et la détermination de Jacques Parizeau dans sa quête de la souveraineté, mais cela ne rend pas entièrement justice à son engagement.
Rappelant sa participation à la Marche du pain et des roses en 1995, Françoise David a été une des rares à souligner que « M. Parizeau était un authentique social-démocrate ». Elle a ajouté que « l’indépendance ne mobilisera pas les gens si on n’est pas capable d’y associer un projet social ».Les apparences sont parfois trompeuses. À le voir dans son éternel complet trois-pièces, on aurait spontanément accolé à l’ancien premier ministre l’étiquette de conservateur. Il est pourtant à l’origine de politiques remarquablement progressistes, qu’il s’agisse de la Loi sur l’équité salariale ou de la perception automatique des pensions alimentaires.
Si sa démission du cabinetLévesque en 1984 résultait essentiellement de son opposition au « beau risque » du fédéralisme renouvelé, ce n’est pas simplement pour remettre le projetsouverainiste à l’ordre du jour qu’il est revenu à la politique en 1987, mais aussi parce qu’il n’acceptait pas la mise au rancart de la social-démocratie, qui avait toujours été l’apanage duPQ.L’entrevue que M. Parizeau avait accordée au Soleil à l’époque avait créé une véritable commotion au PQ : « On se retrouve avec un parti politique qui, pendant 16 ans, a fonctionné sur deux pattes — la souveraineté du Québec et la social-démocratie — et qui abandonne ses deux pattes. Avec Pierre Marc Johnson, le PQ est devenu cul-de-jatte, ça court moins vite. » Constatant que l’éphémère NPD-Québec, ouvertement social-démocrate, avait presque rejoint le PQ dans les sondages, il avait ajouté : « Et au royaume des culs-de-jatte, l’unijambiste est roi. »
La première grande critique que M. Parizeau a adressée à LucienBouchard, après que celui-ci lui eut succédé, ne portait pas sur la stratégie des « conditions gagnantes », qui ressemblait à un renvoi du référendum aux calendes grecques, mais plutôt sur sa croisade en faveur du déficit zéro, dont la social-démocratie ne pouvait que pâtir.Pour ce faire, il avait publié une lettre d’une pleine page dans Le Devoir, le jour même où s’ouvrait à Montréal le deuxième des grands sommets convoqués par M. Bouchard. Inutile de dire que les représentants des syndicats et des organismes communautaires présents au sommet avaient accueilli son intervention avec jubilation. « M. Parizeau remet très bien dans le décor une entreprise suicidaire. C’est une contribution majeure », avait commenté le président de la CSN, Gérald Larose. Fort de cette caution, plusieurs, dont Françoise David, alors présidente de la Fédération des femmes du Québec, avaient claqué la porte.
Depuis, la dénonciation des effets néfastes de l’« obsession » de l’équilibre budgétaire est devenue une constante dans les interventions périodiques de M. Parizeau. Il y est encore revenu dans l’entrevue qu’il a accordée à MichelLacombe au début d’avril dernier, qui a pris des allures de testament politique.L’ancien premier ministre a toujours été reconnu pour ses conceptions keynésiennes du rôle de l’État et sa grande tolérance envers les déficits, dans la mesure où ils ne servent pas à financer les dépenses d’épicerie. Une nouvelle étude du Fonds monétaire international vient appuyer son point de vue, que partagent aussi de nombreux économistes, au Québec et ailleurs. L’adoption de politiques d’austérité visant à précipiter le retour à l’équilibre budgétaire nuit à l’économie plutôt que de l’aider, estime le FMI.
Tout le monde auPQ revendique maintenant l’héritage de M. Parizeau, mais la divergence de vues est manifeste. Au cours de la récente course à la chefferie, BernardDrainville a été le seul candidat à remettre ouvertement en question l’opportunité d’atteindre le déficit zéro dès cette année, précisément au nom de la social-démocratie.Mercredi, à l’Assemblée nationale, le premier ministre Couillard a eu beau jeu de reprocher à Pierre Karl Péladeau l’ambiguïté de sa position. Jour après jour, le PQ s’indigne des compressions, mais il n’ose pas remettre en question l’échéancier budgétaire du gouvernement, comme si on pouvait faire une omelette sans casser des oeufs. C’est très bien de célébrer la clarté de M. Parizeau, mais il faut aussi en prendre exemple.
Durant la campagne référendaire de 1995, le camp du Oui avait lancé un manifeste intitulé Le coeur à l’ouvrage, rédigé par Jean-François Lisée, qui présentait le futur Québec souverain comme un « projet de société » unique en Amérique du Nord, où on retrouverait une fiscalité plus progressive, un filet social plus généreux et de meilleures protections pour les travailleurs. Est-ce toujours le projet que propose le PQ ?