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 Cette fuite des capitaux ne signifie pas leur expatriation en termes nets, mais plutôt que les capitaux privés se changent en capitaux publics. Grosso modo, les citoyens grecs contractent des emprunts auprès des banques locales, prêts largement financés par la Banque centrale grecque, qui elle-même acquiert des fonds via le dispositif ELA de fourniture de liquidités d’urgence de la Banque centrale européenne. Ils transfèrent ensuite leur argent vers d’autres pays afin d’acheter des actifs étrangers (ou de rembourser leurs dettes), aspirant ainsi la liquidité des banques de leur pays.

Les autres banques centrales de la zone euro sont ainsi contraintes d’imprimer de nouveaux billets afin que soient honorés les ordres de paiement des citoyens grecs, conférant alors à la Banque centrale grecque un crédit par découvert, tel que mesuré par les fameuses dettes Target. Aux mois de janvier et février, les dettes TARGET de la Grèce ont augmenté de presque 1 milliard d’euros par jour, en raison d’une fuite des capitaux des citoyens grecs et des investisseurs étrangers. Fin avril, ces dettes atteignaient 99 milliards d’euros.

Une sortie de la Grèce ne viendrait pas affecter les comptes dont ses citoyens disposent dans d’autres Etats de la zone euro – et encore moins faire perdre aux Grecs les actifs dont ils ont fait l’achat grâce à ces comptes. En revanche, une telle sortie aboutirait à ce que les banques centrales de ces États se retrouvent coincées avec les créances Target, libellées en euro, des citoyens grecs vis-à-vis de la Banque centrale de Grèce, qui pour sa part détiendrait des actifs libellés exclusivement dans une drachme fraichement rétablie. Etant donné l’inévitable dévaluation de cette nouvelle monnaie, et sachant que le gouvernement grec n’est pas tenu de parer à la dette se sa banque centrale, il est quasiment certain qu’un défaut viendrait priver les autres banques centrales de leurs créances.

Une situation similaire survient lorsque les citoyens grecs retirent des espèces sur leurs comptes pour ensuite les stocker dans des valises ou les emporter à l’étranger. Si la Grèce venait à abandonner l’euro, une part substantielle de ces fonds – dont le total atteignait 43 milliards d’euros à la fin du mois d’avril – se déverserait alors dans le reste de la zone euro, que ce soit vers l’achat de biens et actifs ou vers le remboursement de dettes, ce qui entraînerait une perte nette pour les membres demeurant dans l’union monétaire. Tout ceci vient considérablement renforcer la position de négociation du gouvernement grec. Il n’est donc pas étonnant que Varoufakis et Tsipras jouent la montre, en refusant de présenter un ensemble de propositions de réformes significatives.

La BCE partage une importante responsabilité dans cette situation. En échouant a rassembler au Conseil de la BCE les deux tiers de majorité nécessaires pour limiter la stratégie de self-service de la Banque centrale grecque, elle a permis la création de plus de 80 milliards d’euros de liquidités d’urgence, qui excèdent les quelque 41 millions d’euros d’actifs recouvrables dont dispose la Banque centrale grecque. Les banques de Grèce étant ainsi certaines de bénéficier des fonds nécessaires, le gouvernement n’a pas eu à mettre en place de contrôles sur les capitaux.

La rumeur voudrait que la BCE s’apprête à réajuster son approche – et cela très prochainement. L’institution est consciente que l’argument selon lequel les prêts ELA sont garantis s’érode peu à peu, puisque dans bien des cas cette garantie présente une notation inferieure à BBB-, en dessous de la catégorie investissement.

Si la BCE décidait enfin d’admettre l’impasse, et de retirer le filet de sécurité qui sous-tend la liquidité de la Grèce, le gouvernement grec serait alors contraint de commencer à négocier sérieusement, puisqu’il n’aurait aucun intérêt à attendre plus longtemps. Pour autant, le stock d’argent envoyé à l’étranger et détenu en liquidités ayant d’ores et déjà explosé jusqu’à 79% du PIB, sa position demeurerait solide.

Autrement dit, en grande partie grâce à la BCE, le gouvernement grec serait en mesure d’obtenir une issue plus favorable – notamment accroissement de l’aide financière et réduction des exigences de réforme – que jamais auparavant. Une large part des ressources acquises, mesurées selon les soldes Target, ainsi que des liquidités imprimées, se changerait ainsi en un véritable cadeau de dotations vers un avenir d’indépendance.

Beaucoup en Europe semblent considérer Varoufakis, spécialiste de la théorie des jeux mais en même temps néophyte sur le plan politique, comme incapable d’exploiter les cartes que joue la Grèce. Ceux-là feraient bien d’y réfléchir davantage – avant que la Grèce ne s’en aille avec la mise. – (HWS)

* Project Syndicate

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