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Mardi 2 juin, le Sénat américain adoptait un projet de loi instaurant une limitation des pouvoirs de surveillance de la NSA. Plus symbolique que révolutionnaire, le USA Freedom Act ne changera pas la surveillance de l’agence américaine qui reste toujours une arme étatique de taille.

Vous ne mesuriez pas le pouvoir de nuisance de la NSA ? Avec le scandale de la FIFA vous voilà éclairés

Eric Dénécé

Même sans preuve formelle, pourquoi il est crédible que les outils de surveillance dont dispose la NSA soient à l’origine du scandale de la FIFA ?

Eric Dénécé : Nous savons que la NSA, depuis le Patriot Act qui a déjà largement augmenté ses possibilités d’action, est très largement utilisé à des fins économiques plutôt que contre-terroristes, un rapport de 90% à la faveur des enjeux économiques est parfois avancé. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis écoutent la planète entière, souvent pour faire de l’espionnage de la concurrence, et pour assoir la domination des entreprises nationales sur les marchés, sur le contrôle des technologies, et le contrôle des ressources naturelles principalement.

C’est la principale mission de la NSA.

Depuis l’été dernier, nous savons aussi que les Américains écoutaient les dirigeants européens qu’ils soient politiques ou économiques. Ces mêmes observations se retrouvent également chez les dirigeants chinois. Cela leur permet également de faire pression sur les individus dès lors qu’ils ont quelque chose à cacher.

Il est en revanche délicat d’avancer des preuves formelles de cette utilisation des outils dont dispose la NSA, ces dernières demeurent très rares et c’est par le biais d’un faisceau d’observation (et pour l’essentiel elles sont issues des révélations d’Edward Snowden) que nous pouvons tendre vers l’idée que cette hypothèse est crédible.

Dans le cas précis du scandale de la FIFA, il faut savoir que la lutte anti-corruption est l’une des principales armes employée par les Américains, qui s’apparentent parfois à des intégristes de l’anti-corruption, pour s’attaquer à leurs concurrents politiques et économique. Ceux-ci ont décrété que leurs normes étaient obligatoires partout dans le monde. Cela est rendu possible par le fait que la moindre transaction en dollars, ou une quelconque activité sur leur territoire, les rend justiciables aux yeux des Américains. Le FBI, comme dans l’affaire de Sepp Blatter, peut alors prendre le relais et porter les affaires sur le plan de la justice internationale.

Dans le domaine de la FIFA, les Américains sont dans une logique de vengeance : Sepp Blatter aurait orienté les votes de la FIFA afin que la coupe du monde ait lieu ailleurs qu’aux Etats-Unis, ce que les Américains n’auraient pas toléré. Finalement, cette affaire constitue un exemple, un message clair adressé au monde entier : « où que vous soyez, quoi que vous fassiez, si vous avez été impliqué dans des affaires de corruption, nous pourrons faire pression sur vous ».

Cela ne signifie pas que Sepp Blatter n’ait pas fait de corruption, tout comme l’ancien vice-président d’Alstom, mais cela ne les empêche pas d’y avoir recours non plus. Mais avec ce système, les Américains ont compris deux choses : premièrement ils ont développé des armes anti-corruption pour que personne ne puisse gagner des contrats dans le monde grâce à la corruption, et cela leur donne dans le même temps l’arme de la pression. D’un côté ils ont contribué à faire évoluer les normes en matière de corruption, mais ils l’ont également utilisé pour écarter des contrats des personnes morales ou physiques étrangères.

Comment, d’une manière générale, les outils dont dispose la NSA permettent d’avoir accès à des informations inexploitables sur le plan juridique ?

Effectivement, les données récoltées par la NSA ne sont pas utilisables dans les juridictions internationales ou par le FBI. En revanche, il est possible de les transformer en preuves légales : les informations sont transmises aux autorités judiciaires américaines, en l’occurrence le FBI, lequel sait désormais où chercher. Il suffit alors aux agents de demander dans le cadre d’une commission rogatoire à un fournisseur d’accès à internet ou à un opérateur téléphonique de mettre sur écoute l’individu ciblé, et de retrouver alors les preuves que la NSA avait déjà identifiées pour une poursuite judiciaire.

Plusieurs personnalités avaient déjà évoqué ce risque lors de l’élaboration de la loi de renseignement votée récemment en France. En quoi les dispositifs aux mains de la NSA se distinguent-ils ?

Si ce type d’utilisation était effectivement observé en France, cela se cantonnerait au territoire national.  Or aujourd’hui le droit américain s’applique dans le monde. Prenons l’exemple d’une société allemande qui ferait des affaires avec l’Indonésie. Même s’il n’y a pas de concurrence avec une entreprise américaine, le droit américain s’appliquerait malgré tout. Si la corruption a lieu en euro, mais qu’un mail concernant la corruption se faisait à travers un serveur américain comme Gmail, le droit américain s’applique également. Et comme les Etats-Unis, à travers la part principale du dollar dans les transactions internationales, ou par des technologies américaines, il est difficile de ne pas être touché. Cela leur donne des moyens de coercition rarement vus.

Dans quelle mesure peuvent-ils exercer une pression sur les gouvernements étrangers ?

Ce dispositif technico-juridique leur donne une puissance extraordinaire : le vice-président Français d’Alstom mis en prison il y a plusieurs mois maintenant pour des soupçons de corruption s’est retrouvé lors de l’audience avec deux mails qu’il avait échangé un jour et qui servent aujourd’hui de preuve à charge contre lui. Les 14 mois de prison qu’il a fait jusqu’à aujourd’hui ne sont qu’uniquement liés à ces deux mails.

 Cela leur permet dans le cas d’Alstom d’acheter une entreprise qui n’est pas à vendre, et de s’accaparer ses technologies.

Mais ces outils ne se limitent pas dans leur utilisation à la sphère économique. La corruption faisant partie intégrante du commerce international. Les Américains ont alors une arme de chantage extraordinaire.

Quels sont les pays les plus touchés ? Quelle réponse la France et l’Europe pourraient-elles formuler afin de protéger les entreprises européennes ?

Les Chinois, les Européens, et particulièrement les Français sont dans le collimateur des Américains. Si des entreprises américaines sont parfois épinglées, le montant des amendes qu’elles payent sont en moyenne 4 fois moins importantes. Les seuls qui s’en sortent sans dommage sont les Britanniques et les Israéliens.
Il serait possible de neutraliser rapidement ce dispositif par une volonté politique. Le point est essentiellement juridique, et nous avons donc les moyens d’y répondre.

http://www.atlantico.fr