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Affaires, éducatif et surtout moral, congrès de Poitiers, désarroi économique des socialistes, le terrain social
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Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis avec le premier ministre Manuel Valls à la clôture du congrès socialiste. (Régis Duvignau/Reuters)

Au vu des applaudissements nourris réservés à Manuel Valls au congrès de Poitiers, puis de la tribune signée dimanche par Arnaud Montebourg pour dénoncer la politique du gouvernement, le désarroi économique des socialistes français – affairés à occuper, pour compenser, le terrain social, éducatif et surtout moral – apparaît vertigineux
Manuel Valls l’a de nouveau promis dans son discours samedi à Poitiers: le gouvernement «tiendra» l’engagement pris par le président de la République de faire baisser la courbe du chômage en France d’ici à la fin du quinquennat, en 2017. Une assurance que le premier ministre, longuement applaudi, a justifié par le fait que «la France crée à nouveau de la richesse», au point que «les investisseurs étrangers font de nouveau le choix d’y investir».
Fermez le ban. L’espoir demeurerait donc inchangé, malgré le chiffre record de chômeurs (3,56 millions) de la fin avril, et les inquiétudes que font peser sur la croissance européenne les lourds nuages grecs dont personne n’a osé trop parler dans les rangs des fédérations PS? Voire. La réponse, ce week-end, était bien plus nuancée, à l’image de l’embarras suscité dimanche par la tribune au vitriol publié dans Le Journal du Dimanche par l’ancien ministre de l’Economie Arnaud Montebourg et le banquier de Lazard Matthieu Pigasse (influent actionnaire du Monde) et intitulée «Hébétés, nous marchons vers le désastre…»: «La vérité, c’est que nous avons un peu perdu notre boussole, reconnaît la députée européenne Pervenche Berès. La France est aujourd’hui le seul grand pays de l’Union européenne gouvernée par les socialistes. Nous avons une sacrée responsabilité pour l’avenir de la social-démocratie sur le continent. Or nous n’avons pas de message audible, capable d’incarner une différence et de susciter de l’espoir face au sentiment de précarité croissante des électeurs d’une part, et aux inquiétudes légitimes de la Banque centrale européenne au vu de ce qui ressemble fort à un chantage de la part du nouveau premier ministre grec Alexis Tsipras.»
Le 77e congrès du PS français avait été bien «déminé» par l’actuelle direction du parti, dont la motion A l’avait emporté quelques jours plus tôt auprès des 45 000 adhérents ayant décidé de voter (sur environ 100 000 revendiqués). Pas de débats en direct, à la tribune, sur la politique économique et l’option «réformiste» défendue par le gouvernement de Manuel Valls. Pas de discussion ouverte, même, sur le texte aujourd’hui le plus contesté par les «frondeurs» de la gauche du parti: le projet de loi «pour la croissance et l’activité» – porteur d’une timide libéralisation – que le successeur d’Arnaud Montebourg, le jeune ministre Emmanuel Macron – non encarté au PS et absent de Poitiers – défend de nouveau ce lundi en seconde lecture devant les députés. Il aura fallu que l’élue bretonne Isabelle Thomas, frondeuse, fasse un lapsus révélateur en parlant de danger «social-libéral» au lieu de «néolibéral», pour que le non-dit refasse surface. Que propose vraiment le PS français, toujours très loin derrière ses homologues allemands et britanniques sur sa capacité à accepter la compétition de l’économie mondialisée, alors que Manuel Valls l’a de nouveau appelé, à Poitiers «à redéfinir (son) cadre de pensée», à ne proposer «ni une fuite en avant, ni un immobilisme, mais un mouvement»?
L’universitaire Alain Bergounioux, vétéran des congrès PS, tire déjà de cette ambiguïté une leçon pour 2017: «Si François Hollande se représente, son intérêt est de se retrouver face à Nicolas Sarkozy, pour une revanche qui portera largement sur les questions sociétales. Si le candidat de la droite est en revanche Alain Juppé, jugé beaucoup plus pragmatique sur le plan économique par les électeurs du centre gauche, le risque d’une élimination au premier tour, comme Jospin en 2002, sera très sérieux.»
C’est pour éviter cela, expliquent ses proches, qu’Arnaud Montebourg a jeté son pavé anti-austérité dans la mare. Baisse d’impôts en faveur des ménages, arrêt de la réduction des déficits publics, remise en cause de l’axe budgétaire franco-allemand… Son texte a tout d’une leçon de gauche infligée aux congressistes. Pas un mot, en revanche, pour l’ancien ministre qui dit vouloir se «réinventer» dans le monde de l’entreprise, en faveur de la déréglementation et de la baisse de la pression fiscale que réclament à cor et à cri les patrons français, surtout du côté des PME, dont l’Elysée compte faire l’éloge ce mercredi lors d’un sommet dédié. Aucune mention de la problématique perte de compétitivité hexagonale, autre raison des 60 000 faillites d’entreprises françaises par an.
Au vu des applaudissements nourris réservés à Manuel Valls, puis de la prose assassine d’Arnaud Montebourg, le désarroi économique des socialistes français – affairés à occuper, pour compenser, le terrain social, éducatif et surtout moral – apparaît vertigineux.