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 Par Jérémie Baruch, Samuel Laurent et Maxime Vaudano

 Le premier ministre Manuel Valls en compagnie de Michel Platini (à gauche), avant le match FC Barcelone-Juventus de Turin (3-1), samedi 6 juin.
Qui se souvient encore qu’au début de son quinquennat, François Hollande avait fait signer à ses ministres une charte de déontologie, comportant les règles à observer, notamment en matière de déplacements ? Peut-être pas ManuelValls. Le premier ministre doit en effet répondre à une polémique, après un déplacement, samedi 6 juin à Berlin, pour assister à la finale de la coupe d’Europe de football, entre lesclubs italien de laJuventus de Turin et espagnol duFC Barcelone.

1. Les faits

Manuel Valls a en réalité effectué plusieurs déplacements en avion ce week-end :

  • un voyage aller-retour à Poitiers pour le congrès du PS, en Falcon gouvernemental, samedi.
  • un voyage Paris-Berlin pour assister au match samedi soir, toujours en Falcon, avant un retour à Paris le même soir.
  • un nouveau déplacement de Paris à Poitiers et retour pour retourner au congrès PS, avant de revenir dans la capitale à temps pour assister à la finale du tournoi de tennis de Roland-Garros.

2. Qui a payé ?

Selon Matignon, le déplacement à Berlin aurait été pris en charge par l’Etat, puisqu’il s’agissait, toujours selon M. Valls et son entourage, d’une visite « officielle » à l’invitation de l’UEFA, au cours de laquelle M. Valls devait rencontrer les dirigeants du football européen pour une réunion au sujet de l’Euro 2016, qui se déroulera en France. Patrick Kanner, ministre des sports, n’était pas convié à cette réunion, confirment ses services.

Toujours selon Matignon, le Parti socialiste aurait pris à sa charge le déplacement à Poitiers du samedi.

Dimanche, M. Valls, de retour de Berlin, a de nouveau effectué un aller-retour à Poitiers, avant de revenir à Paris pour assister à la finale du tournoi de tennis de Roland-Garros. Là encore, le PS aurait payé ce nouveau déplacement.

3. La règle

En 2012, dans la « charte de déontologie » signée par les ministres, ceux-ci étaient encouragés à « privilégier le train pour les déplacements d’une durée inférieure à trois heures ». Ce qui n’est pas le cas de Berlin, qui se trouve à presque huit heures par voie ferroviaire. En revanche, c’est bien celui de Poitiers, qui se trouve à moins de deux heures de Paris en TGV.

Mais un point est à prendre en compte : la sécurité du premier ministre et sa capacité à réagir rapidement en cas d’urgence, deux éléments qui justifient que président et premier ministre puissent utiliser des avions à la place de trains. Le principe des déplacements en train est en outre caduc depuis les attentats de janvier.

Reste que, depuis 2011, l’usage, formalisé par Nicolas Sarkozy après plusieurs scandales impliquant ministres et avions de la flotte gouvernementale, veut que dans le cas où il effectue un déplacement d’ordre privé, le premier ministre doit rembourser à l’Etat l’équivalent d’un billet d’avion en classe affaires. Mais il ne rembourse pas (et le PS non plus lorsque c’est lui qui paye) les salaires des personnels de sécurité qui l’entourent lors d’un déplacement. Un autre paragraphe de la « charte de déontologie » de 2012 peut également s’appliquer : « Seules les dépenses directement liées à l’exercice des fonctions sont prises en charge par l’Etat », précise le document.

La question peut se poser ici : assister à une finale de coupe d’Europe peut-il être considéré comme faisant partie des fonctions d’un premier ministre ? Manuel Valls argue que oui, car il était invité par le président de l’UEFA, Michel Platini, où il devait le rencontrer « puisque dans un an nous accueillons l’Euro de football » en France. Mais ce déplacement n’était pas inscrit à son agenda de la semaine, qui s’arrêtait au vendredi 5 juin. En outre, l’organisation de la coupe d’Europe est-elle si urgente qu’il faille un déplacement primo ministériel en plein week-end ?

 4. Combien coûte un tel déplacement ?

On peut estimer le coût d’un voyage en Falcon de l’escadron de transport, d’entraînement et de calibration (ETEC, nouvellement Escadron de transport 60) : selon Europe 1, la facture (hors coût du personnel de sécurité) est d’environ 4 700 euros l’heure de vol. Un Paris-Berlin, qui représente environ quatre heures aller-retour, s’élève donc à 18 800 euros au total.

Qu’il s’agisse d’un ministre ou, a fortiori, d’un premier ministre ou du chef de l’Etat, il existe également des frais incompressibles en cas de déplacement : sécurité, personnel d’accompagnement, etc.

Si on conserve la règle en place depuis 2011 et qu’on estime qu’il s’agissait ici d’un déplacement d’ordre privé, il faut surtout regarder l’équivalence sur un vol commercial, que le premier ministre aurait, théoriquement à rembourser. Si M. Valls avait voulu effectuer un aller-retour à Berlin en classe affaires, cela lui aurait coûté environ 700 euros en utilisant la compagnie allemande Lufthansa. On ignore encore combien le PS devra rembourser au gouvernement en guise de prise en charge des déplacements à Poitiers du premier ministre.

5. Comment se défend Manuel Valls ?

Le premier ministre a eu plusieurs réponses face à la polémique, qui a grandi tout au long du week-end.

Dans un premier temps, M. Valls a mis en avant un déplacement dans le cadre de ses fonctions, pour évoquer l’organisation de l’Euro 2016 : « Je vais à Berlin à l’invitation de Michel Platini qui est le président de l’UEFA. Nous aurons une rencontre – puisque dans un an nous accueillons l’Euro de football (…) –, je rencontrerai les dirigeants de l’UEFA. » Avant d’ajouter : « Et j’assisterai à un beau match de football. » Quant aux moyens, il a répondu : « Je suis premier ministre. Je me déplace avec les moyens que vous connaissez. N’essayez pas de créer de faux débats. »

Puis, dimanche après-midi, il a expliqué, sur BFMTV : « Je travaille beaucoup, je m’engage beaucoup. Et puis de temps en temps, il y a aussi un moment de détente, même s’il y a de la tension et de la passion dans le sport. »

Une explication qui risque de ne pas suffire. Et cela est d’autant plus compliqué que le PS n’a jamais été avare de critiques concernant l’usage intensif des avions présidentiels par Nicolas Sarkozy. Le parti n’était pas non plus avare de moqueries quand le même Nicolas Sarkozy facturait 3 200 euros à son parti un déplacement entre Paris et Le Havre… en avion.

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs