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Ce vendredi, le débat reprend, au Parlement. Où il traîne et gêne, depuis trois ans.
C’est tout sauf un hasard. Ce vendredi est le jour où Dominique Strauss-Kahn et les autres personnalités poursuivies dans l’affaire dite du « Carlton » vont être fixés sur leur sort judiciaire. Et c’est aussi le moment qu’a choisi l’Assemblée nationale pour recommencer à débattre du vieux dossier de la mise à l’amende des clients de la prostitution.
Cela fait près de trois ans que ce projet va, vient et traîne, au Parlement. Il aurait pu y lambiner encore longtemps, si, en février dernier, le procès du présumé réseau lillois de proxénétisme n’avait été marqué par les témoignages des prostituées ayant pris part aux « soirées libertines » dont DSK et consorts doivent répondre.
Opinion partagée, policiers sceptiques
Les récits de ces femmes et la souffrance qu’elles ont souvent exprimée à la barre ont sorti de leur torpeur les abolitionnistes : les partisans de l’abolition de la prostitution, vue comme le symbole abhorré, donc à éradiquer, de la « marchandisation des corps ». Ils s’étaient un peu endormis sur leurs lauriers, leurs thèses étant désormais majoritaires à la fois dans la classe politique, le monde médiatique, le milieu associatif et la mouvance féministe – mais les Français, eux, à en croire les sondages, sont très partagés sur cette idée de mettre à l’amende les clients de la prostitution.
A la fin 2013, les députés avaient, en première lecture, voté la proposition de loi PS pénalisant donc ces clients. Elle punit d’une contravention de 1 500 euros toute personne ayant recours à « l’achat d’actes sexuels », ce montant étant doublé en cas de récidive. Le texte était ensuite parti au Sénat, où il avait sommeillé pendant plus d’un an. Jusqu’à ce que le procès du « Carlton » le réveille.
A l’issue du débat qui débute ce vendredi, une large majorité de députés devrait à nouveau l’approuver, cette fois définitivement. Même si tous les syndicats policiers ont déjà averti que cette mise à l’amende sera difficilement applicable, sur le terrain. Car il sera tout sauf aisé, pour les pandores, « d’administrer la preuve d’un achat d’une relation tarifée, celle-ci étant rarement publique et constatée en flagrant délit ».
Auparavant, l’Assemblée aura amendé le texte d’une disposition que lui a ajoutée le Sénat (où la gauche est minoritaire) : le délit de racolage passif.
Un délit que Nicolas Sarkozy avait créé en 2003, quand il était ministre de l’Intérieur. Les députés l’ont supprimé, en 2013. Mais la droite sarkozyste l’a réintroduit dans le texte, au Sénat. Au grand dam du gouvernement Valls et des partisans de la pénalisation des clients, pour qui il convient de « sortir les personnes exerçant la prostitution du statut de délinquantes », et les considérer désormais comme « des victimes ». Or, le délit sarkozyste de racolage passif fait tout l’inverse.
Travailleurs sociaux inquiets
Ainsi, il punit de deux mois de prison « le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ». Selon les groupements de personnes prostituées et les travailleurs sociaux – mais aussi des associations de magistrats et d’avocats, ainsi que la Ligue des droits de l’homme -, cette pénalisation du racolage « contraint les personnes prostituées à la clandestinité, pour éviter les contrôles de police. Cela accroît leur vulnérabilité, en les rejetant vers des lieux isolés et précaires et en les laissant à la merci des clients violents. Et cela contribue à la dégradation de leur état de santé ».
Prostituées pas entendues
Du reste, à leurs yeux, « de toute évidence », la pénalisation du recours à la prostitution sera tout aussi « dangereuse et inefficace ». Car, pour éviter la verbalisation de leurs clients, les personnes concernées se cacheront. Et car, « en s’attaquant à la prostitution de voie publique, on ne fera qu’encourager la prostitution « indoor », qui favorise l’isolement des prostitué(e)s et les prive ainsi d’accès aux services et associations susceptibles de les aider ».
Jeudi encore, à Paris, lors d’une réunion à l’Assemblée puis d’une manifestation devant les Invalides, ces arguments contre la réforme ont été répétés. Ce qui n’empêchera sans doute pas les députés de la voter.
« Carlton » : DSK relaxé, et « Dodo » condamné ?
Une étape importante ce vendredi, dans « l’affaire du Carlton ». Ce matin, le tribunal correctionnel de Lille rend son jugement. En février, pendant trois semaines, quatorze prévenus avaient comparu devant lui, soupçonnés de proxénétisme aggravé en réunion. Ils encourent jusqu’à dix ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende, pour avoir pris part, de 2008 à 2011, à des soirées auxquelles participèrent des prostituées : à Lille, Bruxelles ou Washington.
Sauf énorme surprise, Dominique Strauss-Kahn – le plus retentissant de ces prévenus – n’a pas trop de craintes à avoir. Le parquet, en effet, a requis « une relaxe pure et simple » en sa faveur, faute « de charges suffisantes » . Car, pas plus que l’instruction, le procès n’a permis de prouver qu’il savait que les participantes à « ces soirées libertines » étaient prostituées, et rémunérées pour leurs services. « Sa notoriété ne doit pas être un motif de sévérité » , a estimé le parquet. Qui, auparavant, s’était vainement opposé au renvoi de l’intéressé en correctionnelle.
La prostitution « en horreur »
Lors des audiences, l’ex-n°1 du Fonds monétaire international a été dédouané par ses coprévenus. Ils ont assuré que jamais il n’avait su la qualité de prostituées des participantes à ces soirées. Certaines parties civiles ont même renoncé à lui réclamer réparation. Elles gardent « la conviction » qu’il était au courant des choses ? Mais, en correctionnelle (contrairement aux assises), l’intime conviction ne suffit pas, pour condamner : il faut des preuves.
A la barre, DSK a certifié n’avoir « jamais su » , ni ne s’être « jamais douté » , que les jeunes femmes étaient payées pour ces ébats. Il a assuré avoir « horreur » des relations sexuelles tarifées. Et s’est dit « désolé » que les prostituées aient gardé de lui le souvenir d’un partenaire violent.
Envers les autres prévenus – notables lillois et affidés socialistes de DSK -, seules des peines de prison avec sursis et des amendes ont été requises. Unique exception ? Dominique « Dodo la Saumure » Alderweireld, tenancier de bars à hôtesses en Belgique. Deux ans de prison, dont un an ferme, ont été réclamés à son encontre. Le parquet a fustigé « son cynisme effrayant » . Et a jugé que ses antécédents judiciaires (treize condamnations, dont deux pour proxénétisme) ne plaidait pas en sa faveur.