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Arabie Saoudite, la démoralisation du peuple yéménite, le wahhabisme, son propre patrimoine religieux, ville de Sanaa, visées wahhabites, Yemen
L’Etat islamique n’a pas l’apanage des destructions de sites archéologiques. Vendredi 11 juin, ce joyau qu’est la vieille ville de Sanaa aurait été frappé par la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen. Mais les récréminations internationales se sont faites entendre moins fortement que lorsque Mossoul en Irak et Palmyre en Syrie sont tombés aux mains de l’EI. Et pourtant, les dégats sont conséquents. Les Yéménites, qui continuent à construire selon les traditions millénaires de la région, tirent à raison de la vieille ville et de son architecture ancienne une fierté nationale et internationale. Classées au patrimoine mondial de l’Unesco, ses maisons-tours de dix étages en pisé ou terre cuite sont uniques au monde. Datant pour certaines de l’Hégire (soit le VIIème siècle après J.-C.), les constructions de Sanaa, ornées de fresques éclatantes de couleur et d’arabesques ciselées, figurent parmi les premières constructions religieuses consécutives à la propagation de l’Islam.
« L’Arabie saoudite a détruit une grande partie de son propre patrimoine religieux. Le wahhabisme interdit toute vénération de lieux saints »Le bombardement a ainsi provoqué la colère du peuple qui s’est empressé de relayer l’étendue des destructions sur les réseaux sociaux et de réclamer justice. Car les dommages sont colossaux. Le complexe millénaire de maisons du quartier d’Al-Qasimi et ses jardins urbains ont été rayés de la carte. Plus tôt, c’était aux constructions d’Al-Owrdhi datant de l’époque ottomane d’être rasées sous les bombes. Des sites irrémédiablement perdus : le Yémen n’aura pas les moyens de les reconstruire de sitôt alors qu’il manque déjà de moyens pour répondre aujourd’hui aux besoins de sa propre population. « Le bombardement de Sanaa ne fera qu’augmenter la haine que ressentent les Yéménites vis-à-vis des Saoudiens » prévient, sous couvert d’anonymat, un diplomate fin connaisseur des deux pays.
L’Arabie saoudite prétendait vendredi, pas le biais du général Ahmed Al-Assiri, ne pas avoir mené de raid aérien dans la zone. Et accusait même les rebelles : « Il y a plusieurs jours, il y a eu une explosion dans un de leurs lieux de stockage [d’armes]. Il pourrait s’agir de ça ». Il est vrai que de telles opérations seraient pour le moins fâcheuses pour la coalition puisque son intervention au Yémen n’est appuyée par l’ONU qu’à condition de bombarder des cibles militaires… Pourtant, pour notre diplomate, il y a bien une sorte de stratégie en deux temps de la part de la coalition : « Durant les premiers mois de l’offensive,seuls les objectifs militaires étaient visés. Maintenant, la coalition arabe cible les monuments historiques yéménites : des forteresses médiévales ou encore les vestiges du barrage de Marib, monument légendaire dans la tradition arabe et mentionné dans le Coran ! »
Selon lui, des raisons militaires, mais aussi historiques et religieuses viennent appuyer l’idée de manœuvres délibérées de la part de l’Arabie saoudite. « Premièrement, il s’agit de punir les actions des troupes houthistes à la frontière saoudienne. De plus, il faut savoir que l’Arabie saoudite a détruit une grande partie de son propre patrimoine religieux. La faute au wahhabisme qui interdit toute vénération de lieux saints car cela aboutit à leur sens au polythéisme. Enfin, détruire le patrimoine national revient à briser le moral des Yéménites, leur faire craindre une disparition de leur histoire. Cela, pour peser à la table des négociations… »
