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Stéphane Bussard
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Rachel Dolezal a ouvert un débat animé aux Etats-Unis. (Rajah Bose/The New York Times/Redux/Laif)

Rachel Dolezal a provoqué un scandale national. Née Blanche, elle affirme depuis 2007 être Noire. Son cas interroge sur l’identification raciale dans une Amérique où Barack Obama a choisi d’être un président noir
Peut-on choisir sa race? Quels en sont les critères d’appartenance? Dans l’Amérique de Barack Obama, qu’on identifie aujourd’hui comme un président noir davantage que métis, Rachel Dolezal, 37 ans, a ouvert un débat national animé. Un peu contre son gré. Née à Troy, dans l’Etat du Montana, au sein d’une famille de missionnaires chrétiens blancs, elle vient de démissionner de la branche de Spokane (Etat de Washington) de la NAACP, l’Association nationale pour la promotion des gens de couleur. Motif: elle a menti sur sa réelle identité, avançant depuis 2007 qu’elle était Noire. Or elle se teint les cheveux ainsi que la peau et privilégie les coupes «afro». Une image la montre à côté d’un Noir qu’elle a présenté comme son père. Son histoire a mis l’Amérique sens dessus dessous à un moment où les questions raciales sont à nouveau d’une brûlante actualité tant à Ferguson ou Baltimore que dans les relations entre la police et la minorité afro-américaine.
A la tête de la NAACP locale, Rachel Dolezal a insufflé une dynamique nouvelle appréciée de ses membres. Elle a aussi enseigné à l’Africana Studies Program à l’Université d’Eastern Washington, laquelle vient de mettre un terme à son contrat de chargée de cours. Interrogés par des journalistes, ses parents, Lawrence et Ruthanne, ont confirmé que leur fille, avec laquelle ils n’ont plus de contact, est bien Blanche. Ils ont mis à la disposition des médias des photos d’elle quand elle était jeune qui ne laissent planer aucun doute. La famille Dolezal a des origines tchèques et allemandes, même si une grand-mère était Amérindienne.
Alors pourquoi? Interviewée mercredi sur NBC, Rachel Dolezal a expliqué que son identification avec la culture noire avait commencé très tôt. A 5 ans, quand elle dessinait des autoportraits avec un crayon brun et non «couleur pêche» et s’imaginait avec des cheveux noirs bouclés. Le vrai tournant a eu lieu à l’Université de Belhaven, à Jackson, Mississippi, où elle a étudié et rencontré son mari, un Noir. Depuis 2004, le couple est divorcé. La culture locale très blanche de cet Etat du Sud ne lui convenait pas. Depuis, elle s’est fortement engagée en faveur des droits civiques et dans la lutte contre les crimes raciaux pouvant affecter la communauté noire. Sur NBC, elle est restée sereine: «Je m’identifie en tant que Noire.» Mais elle reconnaît que son identité biraciale est complexe. L’un de ses deux fils afro-américains résume son cas: «Maman, tu es un être humain au plan racial et tu es Noire d’un point de vue culturel.»
Au sein de la communauté afro-américaine, les réactions ont été très variées. Si certains saluent le travail remarquable qu’elle a accompli avec sincérité contre le racisme aux Etats-Unis, d’autres estiment qu’elle a renforcé les clichés racistes. A leurs yeux, sa supercherie leur a porté préjudice. Ils y voient une forme de blackface, cette pratique jugée très raciste consistant à se peindre le visage en noir, notamment au théâtre. Président national de la NAACP, Cornell William Brooks le souligne: «On peut aimer la culture afro-américaine. Cela ne veut pas dire qu’il faille lui manquer de respect.» Chroniqueur afro-américain du New York Times, Charles Blow admet que la race est une construction sociale. Mais il estime qu’on ne peut pas se déclarer Noir par décret. Etre Noir, c’est précisément avoir intégré, de génération en génération, l’histoire de l’esclavagisme et de la ségrégation. C’est avoir développé une résilience aux discriminations et à la violence raciale qui perdurent aujourd’hui encore. Or Rachel Dolezal n’a pas ce vécu inscrit dans ses gènes. Beaucoup s’interrogent: les souffrances endurées par les Noirs aux Etats-Unis ne peuvent-elles jamais être vécues intérieurement par un Blanc? L’intéressée a déclaré à plusieurs reprises avoir été victime de racisme anti-Noir, bien que les faits n’aient pas pu être prouvés. Elle habite Spokane, une ville très blanche avec seulement 2,3% d’Afro-Américains. Les suprématistes blancs y sont nombreux. Un jour, l’un d’eux déposa une bombe à la parade annuelle Martin Luther King.
Les plus critiques le relèvent: il est facile pour une Blanche de choisir d’être Noire quand cela lui convient. Face aux infâmes lois ségrégationnistes Jim Crow, les Noirs n’ont pas eu cette chance. Les Etats-Unis ont pourtant une longue histoire de Noirs cherchant à se faire passer pour des Blancs, à l’image de l’ex-président de la NAACP Walter White qui, selon le Washington Post, se cachait derrière des cheveux blonds et des yeux bleus pour mener ses enquêtes sur des crimes raciaux dans le Sud profond. Ce qui est étonnant dans le parcours de Rachel Dolezal, c’est qu’elle a elle-même porté plainte en tant qu’étudiante blanche pour discrimination raciale contre l’Université Howard à Washington, un temple académique de la culture afro-américaine où elle a obtenu un master en beaux-arts.
Les voix qui défendent Rachel Dolezal ne manquent pas de mentionner le deux poids deux mesures dont elle est victime. Pourquoi, relèvent-elles, le fait que Bruce Jenner choisit d’être une femme, Caytlin, faisant la une de Vanity Fair, ne semble pas provoquer de remous alors que Rachel Dolezal provoque un scandale national? On pourrait choisir son genre, mais pas sa race?
Difficile de comprendre la trajectoire de Rachel Dolezal sans considérer son contexte familial. Elle a grandi dans une famille très religieuse et estime avoir été abusée sexuellement. Un fait que les parents démentent. Elle n’a qu’un seul frère biologique, Joshua. En 1993, ses parents ont adopté quatre enfants noirs. Ils ont accusé leur fille de les avoir manipulés pour obtenir la garde de l’un d’eux qu’elle considère comme son propre fils. Quant à Joshua, il va être jugé en août prochain pour abus sexuel sur une enfant afro-américaine de 7 ans. Il est, selon l’accusation, attiré par les corps des femmes noires.