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Par Propos recueillis par Anne-Sophie Bellaiche 

Le think-tank La Fabrique de l’Industrie a fait plancher l’économiste Gilles Koléda pour évaluer l’intérêt  de changer de politique en matière d’allègements de charges sociales. Il montre qu’à 10 ans le PIB s’accroît de 0,26 point si on cible les salaires entre 1,6 et 3,5 Smic contre 0,16 point si on cible ceux inférieurs à 1,6 SMIC pour un niveau d’emploi équivalent à terme.  Denis Ranque, co-président de la Fabrique de l’Industrie et président du conseil d’administration d’Airbus décrypte cet enjeu pour l’Usine Nouvelle.

L’Usine Nouvelle : Dès le départ le gouvernement a intitulé sa principale mesure  de  baisse de  charges « Crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi : CICE », y avait-il dans ce E une petite trahison du rapport de Louis Gallois ?

Denis Ranque : Disons qu’il y a eu un changement d’objectif. Les préconisations du rapport Gallois, centrées sur la compétitivité, ont été revues, sans doute pour embarquer la majorité parlementaire, de manière à favoriser une création d’emplois rapides. Politiquement c’est plus attractif. Mais notre étude ne vise pas uniquement cette initiative, ce que nous voulons c’est remettre en cause un consensus bien établi chez les économistes et les gouvernements qui conduit toujours à alléger le coût du travail des bas salaires. Que ce soient les compensations pour les 35 heures, les allègements Fillon, les allègements « Gallois », on vise toujours la création d’emploi à court terme au détriment d’une amélioration de la compétitivité. Ce que notre étude montre c’est qu’à 10 ans, si on distribue les allègements de charge sur les salaires de 1,6 à 3,5 Smic, les créations d’emploi sont équivalentes et comme ce sont des emplois plus qualifiés et que par ailleurs cela génère plus de croissance, c’est meilleur pour l’économie. Il faut arrêter de tirer la France vers le bas. Nous sommes dans un monde ouvert, la survie à long terme c’est de miser sur les emplois qualifiés.

Encore faut-il régler les problèmes de formation, si on ne veut pas laisser les chômeurs sur le bord du chemin ?

Oui, c’est un chemin plus exigeant. Aujourd’hui, on cherche des emplois peu qualifiés adaptés à nos chômeurs peu qualifiés au lieu de les former aux métiers de demain. Résultat : selon une étude de McKinsey, on pourrait se retrouver en 2020 avec plus de 2 millions d’emplois sans les compétences nécessaires et de l’autre autant de personnes sans emplois. La France est entreprenante et innovante, elle est en train de moderniser son industrie mais il ne faudrait pas que le malade meure guéri faute de compétences disponibles.

En en remettant une couche sur le coût du travail même chez les salariés qualifiés, est-ce que vous ne risquez de détourner les industriels de leur vrai défi : l’innovation, le positionnement  des produits ?

Bien sûr le vrai sujet c’est la compétitivité hors coût, nous travaillons en permanence sur ce sujet à La Fabrique de l’industrie mais il faut quand même régler la question des charges excessives. Chez Airbus, nous avons des salariés des deux côtés du Rhin, et nos techniciens sont beaucoup plus chers en France qu’en Allemagne. En Italie, les coûts horaires chargés des salariés de notre principal concurrent d’hélicoptères, Agusta, sont 15 à 20 % inférieurs à ceux de la France.

Votre étude montre que 67 % des allègements de charges portent sur des salaires inférieurs à 1,6 Smic. Certes en élargissant le spectre, on va moins financer les emplois de Carrefour ou de la Poste mais ceux de la banque, est-ce vraiment plus intéressant ?

Les règles européennes interdisent les aides sectorielles et donc tout dispositif qui viserait exclusivement l’industrie. Par ce ciblage sur les salaires intermédiaires, on couvrirait beaucoup mieux les secteurs ouverts à la concurrence internationale qui génèrent plus de richesses. Ces richesses nous pourrons les partager et elles auront un effet d’entraînement sur l’emploi même peu qualifié. Puisque vous citez Carrefour, disons qu’un ingénieur d’Airbus peut dépenser son argent chez Carrefour et générer un emploi de caissière. Mais à l’inverse, la création d’un poste ou même de dix postes de caissières ne fera pas augmenter les ventes d’Airbus et ne suscitera donc jamais l’embauche d’un ingénieur.

Et je voudrais aussi mettre à mal un autre argument fallacieux utilisé pour légitimer les baisses de charges sur les bas salaires : l’idée que cela bénéficierait aux secteurs exposés qui, en achetant localement des services, verraient baisser leurs consommations intermédiaires. C’est vrai, l’industrie consomme beaucoup de services. Mais notre étude montre que ce sont majoritairement des services qualifiés, eux-mêmes dans des secteurs exposés, avec des salaires plus élevés.

Votre étude souligne le risque que des hausses de salaires viennent entamer l’efficacité des allègements de charges, mais c’est de la responsabilité des entreprises. Cette année par exemple les salaires chez Airbus vont augmenter de 2,6 % alors qu’il n’y a pas d’inflation.

Une entreprise comme Airbus a besoin de la vitalité et de la créativité de ses salariés. Et les syndicats, avec quelque raison, font valoir que l’entreprise est prospère puisqu’elle a 10 ans de carnet de commande devant elle. De plus notre résultat est en augmentation, cela veut dire que la productivité suit.Cela ne pose donc pas de problème de distribuer un peu de pouvoir d’achat chez Airbus. Mais ce n’est pas le cas de toutes les entreprises. Le problème c’est quand il y aune divergence entre les hausses de salaire et la productivité.

Donc que faut-il faire pour contrôler les hausses ?

A titre personnel, je pense que la négociation annuelle obligatoire sur les salaires est légitime lorsqu’il y a une forte inflation mais qu’elle ne devrait pas conduire systématiquement à des augmentations générales lorsqu’il n’y a plus d’inflation. D’ailleurs, on commence souvent la négociation salariale en mettant sur la table un pourcentage de rattrapage par rapport à l’inflation. Lorsqu’il y a 0 inflation, vous arrivez avec 0 et là c’est très compliqué. La solution pour moi, c’est d’échanger du pouvoir d’achat contre un allongement du temps de travail, de manière négociée au niveau de chaque entreprise. Car pour l’entreprise France au global, il ne faut pas que les salaires croissent plus vite que la productivité.

Quel est votre agenda à la Fabrique de l’Industrie, voulez-vous transformer le CICE et à quelle échéance ?

Nous ne recommandons pas de changer le système et encore moins tout de suite, car rien n’est pire pour les entrepreneurs que des règles trop instables. Mais nous voulons secouer le consensus, apporter de nouveaux éléments chiffrés dans le débat. En 2017, il est prévu que le CICE se transforme en allègement de charges et il y aura un nouveau contexte politique, quels que soient les dirigeants en place. Nous disons : au moment de mettre en place un système pérenne, faisons les bons choix.

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