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Les négociations entre l’Iran et les Occidentaux arrivent dans leur dernière ligne droite. Qui actuellement entre l’Iran et les Occidentaux a actuellement plus intérêt à un accord ?
Alain Chouet : Il n’est pas évident que cette ligne droite soit la dernière…. La situation est en effet très ambiguë tant du côté des Iraniens que des Occidentaux. Ce sont certainement les Iraniens qui ont le plus intérêt à la conclusion d’un accord dans la perspective d’obtenir une levée, même partielle des sanctions économiques qui les frappent. L’embargo contre la circulation des biens ne les gêne pas trop car ils ont appris depuis longtemps à le contourner. En revanche l’embargo financier et bancaire est dramatique pour le pays qui se voit privé de toute capacité d’investissement et de développement dont sa population, exténuée par plusieurs décennies de restrictions en tous genres, a pourtant le plus grand besoin.
La classe politique et la population iranienne sont cependant très divisées sur les concessions à consentir pour parvenir à un accord. Si l’immense majorité de la population iranienne – y compris les opposants au régime – est favorable à l’accession du pays à la capacité nucléaire civile et même militaire, les opinions divergent largement sur l’agenda et la stratégie pour y parvenir. Et ces divergences s’inscrivent dans un jeu complexe de rapports de pouvoir internes qui compliquent beaucoup le déroulement des négociations et interfèrent avec la marge de manoeuvre des négociateurs iraniens.
Côté occidental, le flou et les divergences entre les différents acteurs en Europe, de part et d’autre de l’Atlantique sont également compliqués par les pressions directes ou indirectes exercées dans un sens par le cabinet Netanyahou et dans l’autre par les manœuvres russes. Toutes ces incertitudes pèsent lourdement sur le déroulement des négociations et chacun tente d’user les nerfs de l’autre jusqu’au dernier moment – au risque d’aller trop loin – pour tenter d’obtenir l’arrangement le plus favorable possible à ses intérêts. Et il faut reconnaître qu’à ce jeu de marchandage, les Iraniens sont particulièrement doués.
Certains craignent qu’au lieu de freiner le développement du programme nucléaire de l’Iran, cela ne fera que renforcer les capacités du pays. Est-ce crédible ? De plus, beaucoup affirment que les concessions faites par Obama n’ont fait que renforcer l’intransigeance de l’Iran, que faut-il en penser ?
Dans toute négociation, les concessions d’une partie renforcent évidemment la détermination de l’autre. Cela étant, de quelles concessions parle-t-on ? Il n’apparaît pas que Obama ait fait des concessions substantielles. A moins que l’on appelle « concession » le fait de ne pas claquer la porte au nez de l’interlocuteur, ce que souhaiteraient vivement certaines pétromonarchies de la Péninsule arabique, de l’administration Netanyahou et des milieux néo-conservateurs US.
C’est un choix qui ne manque pas de logique d’autant que de nombreux think tanks américains estiment que l’intransigeance occidentale sur ce dossier ne fait que renforcer par réflexe de fierté nationale le pouvoir des intégristes iraniens alors qu’ils sont très affaiblis en interne.
Est ce que l’Iran peut profiter cette dernière ligne droite pour tenter de faire valoir ses intérêts ?
En premier lieu, l’Iran n’a pas les moyens de faire passer des choses en force face à des interlocuteurs occidentaux sans doute divisés sur les détails mais unanimes sur un socle minimum commun. Ensuite on distingue mal ce que l’Iran pourrait vouloir faire « passer en force ». En agitant le chiffon rouge d’une accession à l’arme nucléaire tout en ne refusant pas d’y renoncer, Téhéran veut trois choses : 1/ obtenir la levée des sanctions internationales ; 2/ obtenir un accord international garanti à son accession sans restriction au nucléaire civil ; 3/ devenir ce que l’on appelle un « pays du seuil », c’est-à-dire un pays susceptible d’accéder à la capacité nucléaire militaire dans un délai de six mois à un an s’il s’estime menacé comme il l’a été pendant les dix ans de la guerre Irak-Iran qui ont profondément et durablement traumatisé le pays.
C’est évidemment sur ce dernier point que va se jouer le dernier round des négociations. Le problème étant de savoir si les Occidentaux ont une position commune sur ce point, ce qui ne paraît pas être évident.
Les Occidentaux ne pêchent-ils pas un peu par naïveté en sous-estimant ainsi l’Iran ?
Je ne pense pas que les Occidentaux, et en particulier ceux qui négocient cette question délicate, sous-estiment l’Iran. L’Iran est un pays qui a 5000 ans d’histoire, une culture riche et raffinée, à la charnière de toutes les grandes civilisations de l’antiquité et du monde moderne, habitué bien avant nous aux finesses des tractations politiques et commerciales. L’obscurantisme et le côté provocateur du régime islamique actuel ne doit pas faire oublier toutes ces qualités du peuple et du personnel politique et diplomatique iranien.