Par Marie Charrel
D’abord, parce que la fuite des dépôts se poursuit. Depuis 2010, plus de 80 milliards d’euros ont quitté le pays, et le mouvement s’est encore accéléré ces derniers jours.
Ensuite, parce qu’il est désormais certain que le pays ne sera pas en mesure de verser les 1,6 milliard d’euros qu’il doit rembourser au Fonds monétaire international (FMI) le 30 juin. Même si cet « accident de paiement » n’aurait pas, en soi, de conséquences dramatiques, il contraindrait la Banque centrale européenne (BCE) à réviser sa position quand aux financements d’urgence qu’elle verse aujourd’hui aux banques grecques, les « ELA ».
Selon les économistes, l’institut de Francfort devrait dans un premier temps durcir ses conditions, avant d’éventuellement les couper. Dès lors, les ELA ne suffiraient plus à couvrir la fuite des dépôts. L’instauration d’un contrôle des capitaux serait dès lors difficile à éviter.
- À quoi sert le contrôle des capitaux ?
En cas de crise financière sévère, le contrôle des capitaux s’impose comme un mal nécessaire. Instauré en Malaisie et Thaïlande pendant la crise asiatique des années 1990, en Argentine quand le pays a fait faillite en 2001, en Islande en 2008 ou encore à Chypre en 2013, il vise d’abord à stopper les sorties d’argent du pays et le « bank run » : la panique bancaire.
Des retraits excessifs des banques peuvent en effet mettre en danger la solvabilité de celles-ci, voire, les pousser vers la faillite. Dès lors, l’économie du pays est privée de liquidités et ne peut plus fonctionner… Il devient dès lors vital de « fermer » les frontières financières du pays, en instaurant des contrôles.
- Comment fonctionne-t-il ?
Les cas islandais et surtout chypriote, en 2008 et 2013, l’ont rappelé : l’instauration du contrôle des capitaux peut se faire rapidement. Il suffit parfois d’un week-end. Dans certains cas, les établissements bancaires sont fermés pendant un à plusieurs jours. Sur l’île d’Aphrodite, exemple extrême, les banques avaient même baissé leurs rideaux pendant douze jours !
« Lorsqu’elles ont rouvert, les retraits de billets étaient limités à 300 euros par personne, par jour et par banque », rappelle Eric Dor, économiste à l’école de management IESEG. Les paiements et virements à l’étranger étaient plafonnés à 5 000 euros par mois, par personne et par banque. Les voyageurs n’avaient plus le droit de quitter le pays avec des billets en euros ou en devises étrangères pour une valeur dépassant 1 000 euros.
Enfin, les entreprises devaient obtenir une autorisation administrative pour tout virement à l’étranger dépassant les 5 000 euros : il fallait notamment prouver que ces paiements étaient nécessaires pour les activités normales de l’entreprise. « Jusqu’à 200 000 euros, il fallait même l’autorisation d’un comité de la banque centrale », ajoute M. Dor.
- Quelles conséquences cela aurait-il pour les Grecs ?
Les modalités d’un contrôle des capitaux en Grèce pourraient ressembler à celles instaurées à Chypre, avec tout de même de sérieuses nuances. « Aujourd’hui, seuls 15 % des dépôts grecs sont détenus par des résidents étrangers, contre 40 % à Chypre avant mars 2013 », explique Jennifer McKeown, chez Capital Économiques, dans une note sur le sujet.
Pour que le contrôle soit utile, le gouvernement grec pourrait alors être tenté de cibler les grandes entreprises. « L’ennui, c’est que ces dernières ont déjà déplacé leur argent », souligne Mme McKeown.
Le plus efficace serait donc de cibler les petites transactions et retraits aux distributeurs. Ce qui affecterait durement les Grecs dans leur quotidien. Tout comme les petites entreprises, à qui les fournisseurs exigent bien souvent des paiements en cash, avant la livraison… Douloureux. Pour certaines, ce serait même le coup de grâce.
Cela explique d’ailleurs pourquoi le gouvernement s’est jusque-là montré très réticent à l’instauration du contrôle des capitaux. Il affecterait en premier lieu les classes moyennes et populaires, au cœur de son électorat.
- Quels scénarios pour la suite ?
La durée du contrôle des capitaux dépendrait bien sûr de la suite des négociations entre Athènes et ses partenaires. Mais dans tous les cas, une telle mesure est délicate à lever rapidement. A Chypre, elle a duré deux ans. Et L’Islande vient seulement de réduire partiellement les barrières, près de sept ans après leur instauration…
En 2013, les autorités islandaises avaient d’ailleurs averti Chypre : plus il dure, plus le contrôle des capitaux constitue un handicap pour la reprise. « Il décourage les investisseurs étrangers, qui veulent éviter que leurs fonds se retrouvent bloqués dans le pays », explique M. Dor. Or, l’économie grecque ne pourra pas se passer d’investissements étrangers pour se relever.
Reste une question clé : le contrôle des capitaux conduira-t-il au « Grexit », une sortie de la Grèce de la zone euro ? Possible, s’il s’accompagne d’un défaut de paiement sur le FMI et surtout, sur les autres créanciers de la Grèce, comme la BCE.
Privé de liquidités, le pays serait alors contraint d’imprimer une ou plusieurs monnaies parallèles, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à payer les fonctionnaires et verser les retraites. Certains économistes estiment que cela équivaudra de facto à un Grexit. D’autres jugent qu’il n’est pas impossible que la Grèce conserve la monnaie unique, malgré l’existence de monnaie parallèle.
