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La Grèce face à ses créanciers, comme l’Iran face à l’Occident qui veut la priver d’arme nucléaire, ont moins à perdre de l’échec d’un accord que ceux avec qui ils négocient. C’est cela qui fait leur force.

La Grèce est doublement un allié, au sein de l’Union européenne et de l’Otan. L’absence d’un accord avec elle sur l’euro n’affaiblirait-elle pas de fait les deux organisations dont elle fait partie depuis des décennies ? L’Iran est un adversaire-partenaire. Il est clair que son régime ne partage pas nos valeurs, même si Téhéran apparaît, de plus en plus, comme un allié incontournable face à la double menace du chaos et de Daech. Dans les deux négociations en cours, la problématique semble aussi parfaitement opposée. Comment garder la Grèce au sein de la zone euro, comment éviter que l’Iran ne rejoigne le club très fermé des nations qui disposent de l’arme atomique ? La question grecque a une dimension géopolitique toujours plus présente : un échec ne pousserait-il pas Athènes dans les bras de Moscou ? La question iranienne, même si elle est avant tout stratégique, a une dimension économique. La levée des sanctions serait une bouffée d’oxygène pour Téhéran.

Toute négociation internationale, qu’elle se déroule entre alliés, ou entre adversaires, obéit à une logique commune. Il y a un moment où la négociation crée sa propre dynamique et échappe en quelque sorte à ses protagonistes. Il s’agit chaque fois de trouver le « compromis juste » pour créer un nouveau point d’équilibre. En d’autres termes, les leçons de la négociation avec la Grèce s’appliquent à la négociation avec l’Iran, et vice versa. Les négociateurs, qu’ils soient grecs ou iraniens, ne cherchent-ils pas avant tout à gagner du temps, afin de créer un rapport de force qui leur soit moins défavorable ou plus favorable ? Ne jouent-ils pas sciemment des divisions qui existent chez les autres parties à la négociation – divisions qu’ils connaissent et manipulent avec un talent certain – et qui équilibrent pour partie les divisions présentes au sein de leur propre camp ?

Pour Athènes, l’Union derrière Angela Merkel est animée avant tout par la peur d’un échec de la négociation. La Grèce n’est-elle pas, dans l’esprit de nombreux dirigeants européens – toutes proportions gardées bien sûr – l’équivalent de ce que fut la banque Lehman Brothers hier ? La chancelière d’Allemagne ne veut pas apparaître aux yeux de l’Histoire comme l’équivalent politique de Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, qui n’a pas su mesurer le coût d’un « abandon » – probablement supérieur – à celui d’un « sauvetage ». Angela Merkel est venue lentement à cette conclusion par rapport à la Grèce. L’ensemble des parties paie le prix aujourd’hui de cette valse-hésitation, alternant rigueur excessive d’un côté, refus de confronter la réalité en face de l’autre.

En ce qui concerne la négociation sur le nucléaire, les Iraniens partent de l’idée, peut-être trop simple, que les Etats-Unis ont encore plus besoin d’un accord qu’eux. Barack Obama ne souhaiterait-il pas à terme faire de l’Iran un pilier régional de la sécurité au Moyen-Orient ? La nature a horreur du vide. Face aux implosions brutales, au sein du monde sunnite en particulier, et face au refus de l’Amérique de revenir directement sur le terrain, il faut bien trouver une alternative !

Cette évolution de la pensée américaine si elle correspond, pour partie au moins à la réalité, trouble bien évidemment l’Etat d’Israël et les monarchies sunnites du Golfe.

De fait, d’Athènes à Téhéran, ou pour être plus précis de Bruxelles à Vienne, sièges des deux négociations, on retrouve tous les éléments de la stratégie dite du « faible au fort » décrite de manière magistrale en son temps, par le prix Nobel d’économie américain Thomas Schelling. « Certes, sur le papier, je suis le plus faible, mais vous avez plus peur d’un échec que moi. »

En fait, face à ces deux négociations, que doit-on vraiment souhaiter ? Faut-il dire, comme certains, que « pas d’accord est préférable à un mauvais accord » ? Doit-on soutenir, à l’inverse, qu’un accord imparfait est potentiellement moins préjudiciable qu’un échec, qui laisserait la porte ouverte à toutes les dérives ? Pour justifier son rapprochement avec la Chine en pleine guerre froide, le général de Gaulle insistait sur le fait que, derrière le régime communiste de Mao, il y avait la Chine éternelle. Peut-on dire de la même manière qu’en Iran – au-delà de la république des mollahs – il y a la Perse éternelle, une grande civilisation, bien mal représentée par le régime en place ? Retarder de près de dix ans les ambitions nucléaires de l’Iran – ambition avouée de la négociation – n’est-ce pas faire le pari que, sur le plan politique, beaucoup de choses peuvent se passer dans ce laps de temps relativement long ? On ne saurait laisser un régime absolutiste se doter d’une arme absolue, disait-on avec justesse hier. Et si le régime devenait moins absolu ? Il existe en Iran une société civile qui rêve d’autant plus de normalité que l’environnement régional est désespérant. La levée progressive des sanctions – pas à n’importe quelles conditions – ne renforcerait-elle pas les cartes de cette société ? Le chemin à parcourir est considérable, bien sûr, mais il passe sans doute par un accord.

En ce qui concerne la Grèce, la problématique est différente. C’est en effet la peur de l’entrée dans un monde inconnu, plus que l’espoir d’un avenir meilleur, qui nous pousse à rechercher à tout prix un accord, qui, même imparfait, est préférable sans doute à un échec patent.

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