Étiquettes

, ,

Par Aude Lasjaunias 

 « On a des ressources incroyables en Grèce, mais on ne les valorise pas. On va jusqu’à importer des produits que l’on cultive chez nous. Quel paradoxe ! » Ironie du sort, c’est un mot grec qui vient instinctivement à l’esprit de Vagelis, quand il aborde la question de l’agriculture dans son pays. En 2010, il s’est lancé dans l’apiculture à Tsitalia, dans le sud-ouest du Péloponnèse. « J’avais ce désir depuis de nombreuses années, mais mon père avait une vision différente de mon avenir », raconte cet homme de 35 ans.
Exploitation de ruches, dans la banlieue d'Athènes.
Le 1er juillet 2015.

Avant lui, sa famille ne comptait aucun cultivateur, aucun éleveur. Or en Grèce, les exploitations se transmettent le plus souvent de génération en génération. « J’ai dû commencer à zéro, précise-t-il. A l’époque déjà, il était impossible de contracter un prêt pour un tel projet. »

Alors c’est l’argent qu’il gagne à son cabinet de topographie – il l’a ouvert en 2008 après avoir obtenu un diplôme en ingénierie sociale – qui lui permet de le financer. « Il faut s’armer de patience. Je dois aussi cumuler mes deux emplois », ajoute-t-il en souriant. Mais dès l’année prochaine, il pense pouvoir se consacrer entièrement à ses ruches. Aujourd’hui, elles lui rapportent près de 5 000 euros, soit 50 % de ses revenus annuels.

La hausse de la TVA en question

Pour Vagelis, sa « reconversion » est un pari judicieux : « A terme, mon poste de topographe est menacé. Avec le miel, des consommateurs j’en aurai toujours. C’est un produit de base que les gens achètent même en temps de crise. »

Une ombre plane toutefois sur ce tableau presque idyllique : la possible hausse de la TVA sur l’offre agricole – elle passerait de 13 % à 23 % − et celle de l’imposition sur les revenus − de 13 % à 26 % − précédemment demandées par les créanciers de la Grèce. « Quel symbole cela envoie, déplore le trentenaire. Ça va favoriser le marché noir et ça risque de tuer les petits producteurs. »

Sur la route qui mène de Pyrgos à Patra, à l’ouest de la péninsule, les étals de maraîchers se succèdent. Citrouilles, pastèques, cucurbitacées. Là, Elena, une quarantenaire aux traits tirés, explique pudiquement : « On n’arrivait plus à faire face. On a dû réduire et spécialiser notre culture. » Depuis neuf ans, elle et son mari attendent « du matin au soir », comme tant d’autres aux alentours, que de potentiels clients daignent s’arrêter. Les temps sont durs, et elle confie que leurs enfants, âgés de 9 à 16 ans, sont mis à contribution. Une hausse des impôts ? Elle préfère ne pas y penser. « On ne pourrait même pas augmenter nos prix, on ne vendrait plus rien », calcule-t-elle.

« Aucune régulation »

Non loin de là, à Amaliada, un petit village endormi sous une chaleur étouffante, Yorgos, 30 ans, tient depuis dix ans un petit magasin de fruits et légumes. Il ne croit pas à l’augmentation des taxes : « Personne ne pourra payer. Ce sera le chaos. » Dans sa boutique, 80 % des produits viennent d’exploitations locales.

« Mais les fruits ne sont quasiment pas cultivés localement. On doit les faire venir d’autres régions de Grèce. Du coup, ils sont plus chers à cause des intermédiaires qui prennent leur pourcentage. Le tout sans aucune régulation », se lamente-t-il. Mais il faut bien faire avec ce système : la plupart des agriculteurs n’ont pas les moyens d’assurer eux-mêmes la livraison de leurs marchandises.

« Notre secteur agroalimentaire est un cartel. Les conditions de développement des petits exploitants sont compliquées », dénonce Dimitris Koutsolioutsos. Il y a vingt mois, cet énergique trentenaire a lancé Farmers Republic, sorte marché de quartier permanent installé à Nea Erythraia, une banlieue cossue d’Athènes.

Magasin bio alimentaire qui commercialise des produits grecques et bio. Banlieue d'Athènes le 1er juillet 2015.

« Je voulais créer un modèle alternatif de distribution », précise-t-il. Dimitris collabore avec quelque 300 producteurs ; ceux-ci fixent leur prix de vente, sur lequel leur marge atteint 25 %. Actuellement, les agriculteurs dont les produits sont distribués en supermarché ne récupèrent en moyenne que 13 % du prix payé en caisse.

Estimant que l’agriculture doit être une vitrine pour son pays et aussi un moteur de croissance, Dimitris s’efforce de développer l’exportation de produits locaux. « Nous aurons du mal à concurrencer l’Espagne ou l’Italie en termes de prix ; il faut miser sur la qualité. On a tous les ingrédients pour réussir. C’est dommage que les politiques ne prêtent pas plus attention à ce secteur. »

Quand ils ont quitté Athènes pour Marathonas, au nord-ouest de la capitale, il y a quinze ans, Maria et Giorgos Papatheodoropoulos voulaient un « meilleur cadre de vie » pour eux et leurs quatre enfants. Leur petite exploitation s’est peu à peu étendue, au prix de nombreux sacrifices. « Si la hausse des taxes passe, on aura travaillé dur pour rien, tranche Maria. Les agriculteurs vont massivement voter en faveur du“non” le 5 juillet. On mérite un peu de considération. »

Giorgos Papatheodropoulos, exploitant d'une ferme qui vend des produits bios. Il produit des légumes et élève des poules. Marathonas, banlieue d'Athènes le 1er juillet 2015.

http://www.lemonde.fr