Étiquettes
Par Aude Lasjaunias

Avant lui, sa famille ne comptait aucun cultivateur, aucun éleveur. Or en Grèce, les exploitations se transmettent le plus souvent de génération en génération. « J’ai dû commencer à zéro, précise-t-il. A l’époque déjà, il était impossible de contracter un prêt pour un tel projet. »
Alors c’est l’argent qu’il gagne à son cabinet de topographie – il l’a ouvert en 2008 après avoir obtenu un diplôme en ingénierie sociale – qui lui permet de le financer. « Il faut s’armer de patience. Je dois aussi cumuler mes deux emplois », ajoute-t-il en souriant. Mais dès l’année prochaine, il pense pouvoir se consacrer entièrement à ses ruches. Aujourd’hui, elles lui rapportent près de 5 000 euros, soit 50 % de ses revenus annuels.
La hausse de la TVA en question
Pour Vagelis, sa « reconversion » est un pari judicieux : « A terme, mon poste de topographe est menacé. Avec le miel, des consommateurs j’en aurai toujours. C’est un produit de base que les gens achètent même en temps de crise. »
Une ombre plane toutefois sur ce tableau presque idyllique : la possible hausse de la TVA sur l’offre agricole – elle passerait de 13 % à 23 % − et celle de l’imposition sur les revenus − de 13 % à 26 % − précédemment demandées par les créanciers de la Grèce. « Quel symbole cela envoie, déplore le trentenaire. Ça va favoriser le marché noir et ça risque de tuer les petits producteurs. »
Sur la route qui mène de Pyrgos à Patra, à l’ouest de la péninsule, les étals de maraîchers se succèdent. Citrouilles, pastèques, cucurbitacées. Là, Elena, une quarantenaire aux traits tirés, explique pudiquement : « On n’arrivait plus à faire face. On a dû réduire et spécialiser notre culture. » Depuis neuf ans, elle et son mari attendent « du matin au soir », comme tant d’autres aux alentours, que de potentiels clients daignent s’arrêter. Les temps sont durs, et elle confie que leurs enfants, âgés de 9 à 16 ans, sont mis à contribution. Une hausse des impôts ? Elle préfère ne pas y penser. « On ne pourrait même pas augmenter nos prix, on ne vendrait plus rien », calcule-t-elle.
« Aucune régulation »
Non loin de là, à Amaliada, un petit village endormi sous une chaleur étouffante, Yorgos, 30 ans, tient depuis dix ans un petit magasin de fruits et légumes. Il ne croit pas à l’augmentation des taxes : « Personne ne pourra payer. Ce sera le chaos. » Dans sa boutique, 80 % des produits viennent d’exploitations locales.
« Mais les fruits ne sont quasiment pas cultivés localement. On doit les faire venir d’autres régions de Grèce. Du coup, ils sont plus chers à cause des intermédiaires qui prennent leur pourcentage. Le tout sans aucune régulation », se lamente-t-il. Mais il faut bien faire avec ce système : la plupart des agriculteurs n’ont pas les moyens d’assurer eux-mêmes la livraison de leurs marchandises.
« Notre secteur agroalimentaire est un cartel. Les conditions de développement des petits exploitants sont compliquées », dénonce Dimitris Koutsolioutsos. Il y a vingt mois, cet énergique trentenaire a lancé Farmers Republic, sorte marché de quartier permanent installé à Nea Erythraia, une banlieue cossue d’Athènes.

« Je voulais créer un modèle alternatif de distribution », précise-t-il. Dimitris collabore avec quelque 300 producteurs ; ceux-ci fixent leur prix de vente, sur lequel leur marge atteint 25 %. Actuellement, les agriculteurs dont les produits sont distribués en supermarché ne récupèrent en moyenne que 13 % du prix payé en caisse.
Estimant que l’agriculture doit être une vitrine pour son pays et aussi un moteur de croissance, Dimitris s’efforce de développer l’exportation de produits locaux. « Nous aurons du mal à concurrencer l’Espagne ou l’Italie en termes de prix ; il faut miser sur la qualité. On a tous les ingrédients pour réussir. C’est dommage que les politiques ne prêtent pas plus attention à ce secteur. »
Quand ils ont quitté Athènes pour Marathonas, au nord-ouest de la capitale, il y a quinze ans, Maria et Giorgos Papatheodoropoulos voulaient un « meilleur cadre de vie » pour eux et leurs quatre enfants. Leur petite exploitation s’est peu à peu étendue, au prix de nombreux sacrifices. « Si la hausse des taxes passe, on aura travaillé dur pour rien, tranche Maria. Les agriculteurs vont massivement voter en faveur du“non” le 5 juillet. On mérite un peu de considération. »
