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Sebastien Dubas

 

Boutiques au nord de Téhéran. Certains commerçants iraniens voient d’un mauvais oeil l’arrivée de concurrents étrangers. (Reuters)Boutiques au nord de Téhéran. Certains commerçants iraniens voient d’un mauvais oeil l’arrivée de concurrents étrangers. (Reuters)

Un accord sur le dossier nucléaire pourrait déboucher sur la levée des sanctions. Des hommes d’affaires iraniens craignent déjà de voir arriver de nouveaux concurrents

Alors que la fin des discussions sur le dossier nucléaire entre Téhéran et les grandes puissances a été reportée à vendredi, tous les Iraniens ne voient pas forcément d’un très bon œil la signature d’un accord. Il y a les ultra-conservateurs qui refusent toute négociation avec le «Grand Satan» américain. Mais il y a aussi ces patrons d’usine, hommes d’affaires et autres entrepreneurs qui voient dans la levée des sanctions internationales l’arrivée potentielle de nouveaux concurrents sur le marché iranien.

«Regardez tous ces faux Apple Store qui vendent des milliers d’iPhone chaque semaine, vous croyez qu’ils ont envie de voir débarquer le géant américain et ses magasins officiels?» questionne Reza. Déambulant dans les allées du Pietkhat, un centre commercial de sept étages entièrement dévolu aux nouvelles technologies, l’homme d’affaires iranien est fier de nous montrer qu’à Téhéran aussi l’on peut trouver le dernier iPad. Et même l’Apple Watch.

De retour dans sa voiture avec chauffeur, Reza, commerçant d’une cinquantaine d’années actif dans le secteur médical, cache mal son inquiétude. Même s’il se dit favorable à un accord avec les grandes puissances. «Les sanctions internationales, tout le monde s’en est accommodé, explique-t-il. En faisant du troc, en passant par les banques en Turquie et à Dubaï, en vendant et en achetant nos produits aux pays asiatiques. Par contre, l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché iranien, surtout des Américains qui ont pour habitude de tout rafler sur leur passage, sera beaucoup plus compliquée à gérer.»

Les Américains? Reza assure les avoir déjà vus à Téhéran. «Il y a deux mois, j’étais dans un grand hôtel, poursuit-il. Il y avait des représentants de General Motors qui tenaient un séminaire. Avec une affiche à l’entrée: «GM: We are back». Cela ne laisse guère de place au doute.»

Reza n’est pas le seul à se soucier de l’arrivée des entreprises étrangères. Car si les sanctions pouvaient leur compliquer la tâche, notamment pour ce qui concerne les transactions financières, elles avaient le mérite d’évincer toute concurrence autre qu’iranienne. Sans oublier la prime du risque qui peut rapporter gros pour ceux qui font des affaires avec le reste du monde. Une Porsche Cayenne coûterait ainsi trois fois plus cher qu’en Europe. Et ce n’est pourtant pas elles qui manquent dans les rues de Téhéran…

La concurrence des entreprises étrangères? Elle fait peur à beaucoup de ses amis, reconnaît Hamid Hosseini. Mais pas à lui. Le patron de Soroush, entreprise qui vend des produits pétroliers raffinés, nous reçoit dans ses bureaux des quartiers huppés du nord de Téhéran juste après la prière. Selon lui, l’arrivée des étrangers en Iran créera de nouvelles opportunités pour faire des affaires. «Avant le durcissement des sanctions [en 2012, ndlr], le pétrole et ses produits dérivés représentaient un chiffre d’affaires annuel de 250 milliards de dollars en Iran, contre 120 milliards aujourd’hui», explique-t-il.

Hamid Hosseini voit également dans la levée des sanctions l’occasion de renouer des liens avec les sociétés occidentales avec lesquelles il avait pour habitude de traiter avant qu’elles ne quittent le pays il y a quatre ans. «Pas plus tard que ce matin, raconte-t-il en nous montrant deux cartes de visite, des représentants de Glencore [géant du négoce américain basé à Zoug, ndlr] sont venus me voir dans ce même bureau après avoir rencontré des membres du gouvernement.»

Quelques rues plus loin, Parviz Aghili nous attend au 8e étage de la tour qui héberge la banque qu’il a créée voilà trois ans, la Middle East Bank. S’il y a un milieu dans lequel la concurrence de l’étranger inquiète moins, c’est bien celui des banques. Tout en mâchant un bout de cigare, ce banquier d’un autre temps, qui a quitté le pays peu après la révolution avant de revenir au début des années 1990, souligne qu’il ne s’attend pas de sitôt à un retour des banquiers occidentaux dans son pays. Il rappelle que ceux-ci ont tous déguerpi, les uns après les autres, lorsque les sanctions ont été renforcées. Et qu’il est d’autant moins probable de les voir revenir rapidement depuis que BNP Paribas s’est vu infliger une amende de 8,9 milliards de dollars par la justice américaine pour avoir violé l’embargo qui frappe le pays.

«Les banques non iraniennes procèdent à une pesée d’intérêts des plus basiques», explique Parviz Aghili, tout en précisant que ses amis étrangers ne veulent plus parler d’affaires avec lui tellement ils ont peur. «Elles regardent ce que peut leur rapporter le marché iranien et le comparent à ce qu’elles risquent de perdre en y étant actives. Or c’est vite vu, poursuit-il, non seulement elles ne veulent pas écoper d’une amende, mais surtout elles ne veulent pas se voir couper l’accès au marché américain.»

S’il reconnaît que de plus petites banques étrangères, qui n’ont pas forcément beaucoup d’affaires aux Etats-Unis, pourraient être intéressées par une aventure iranienne, Parviz Aghili compte bien profiter avant tout le monde d’une levée des sanctions. Il s’attelle ainsi à mettre sa banque au diapason des nouvelles réglementations internationales, afin, dit-il, d’être prêt le jour J. «Ce qui est le cas de très peu de banques iraniennes aujourd’hui», dit-il, sourire en coin.

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