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Mme Merkel n’a pas envie de rester dans l’Histoire comme celle par la faute de qui le couple franco-allemand a divorcé, la monnaie unique éclaté, la construction européenne reculé.
Dominique Jamet, Journaliste et écrivain
L’Union européenne avait subordonné la reprise d’une aide financière à la Grèce à la mise en œuvre de nouvelles « réformes », puisque tel est le nom dont on affuble en bruxellois les douloureux tours de vis qu’implique une politique d’austérité digne de ce nom. Non seulement le gouvernement grec s’y était refusé, mais il avait eu le culot de solliciter la restructuration, ou au moins le rééchelonnement d’une dette dont le FMI lui-même venait de déclarer que le montant excluait toute possibilité de remboursement. Ses dix-huit partenaires de la zone euro avaient claqué la porte au nez de l’insolent Varoufákis. C’est alors qu’Aléxis Tsípras avait sorti son joker. Consulté par référendum, le peuple grec répondait dimanche dernier à la question posée par un « non » massif qui valait soutien et légitimation de la politique d’indépendance et de fierté nationales défendue par la coalition groupée autour de SYRIZA.

Les dés jetés, la cause paraissait entendue. L’audacieuse initiative de Tsípras mettait l’Union européenne, pour reprendre le mot d’un diplomate eurocratique mais spirituel, devant la feta accomplie. Ni Tsípras lui-même ni Juncker ni Merkel ni personne ne pouvaient plus faire que le référendum n’ait pas eu lieu. Pouvaient-ils ne pas en tirer les conséquences ?

Côté grec, il serait pour le moins paradoxal qu’on acceptât après le « non » populaire ce que l’on refusait avant et que M. Tsípras, en se désavouant, prît à la fois le risque du déshonneur et celui de l’éclatement de la majorité qu’il venait de cimenter autour de lui. Dans le camp des dix-huit, rien n’interdisait à l’Union européenne de faire marche arrière, mais au prix d’inconvénients connus de tous : consentir un traitement de faveur à la Grèce, c’était susciter la colère et l’indignation de pays qui, comme le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et les États baltes, avaient accepté et subi les souffrances entraînées par une politique de rigueur, c’était donner le plus fort signal d’encouragement aux partis contestataires qui, à travers l’Europe, ont le vent en poupe, c’était en particulier pour Mme Merkel, vers qui tous les regards se tournaient, prendre le risque d’être désavouée par son Parlement, par son propre parti et en particulier par son intraitable ministre des Finances.

La chancelière de fer, quoi qu’elle en pensât, était prisonnière de ses dogmes et de son opinion. Au demeurant, depuis quelques jours, le chœur des médias et des politiciens libéraux qui font la loi de Paris à Berlin et de Francfort à Bruxelles avait subitement renoncé à sa vieille rengaine pour entonner une tout autre chanson : après nous avoir prêché depuis des années que le « Grexit » serait une catastrophe planétaire, un tsunami de défiance et de panique qui déferlerait sur la Grèce, le continent et le monde, que c’en était fait de la monnaie commune et de la construction européenne si un pays sortait de la zone euro et que, de plus, les traités européens n’ayant prévu aucun itinéraire de sortie, celle-ci était juridiquement et techniquement impossible. Et voilà qu’on nous expliquait benoîtement, tout d’un coup, que le poids de l’économie grecque étant insignifiant et les mécanismes de défense puissants mis au point depuis la crise de 2008 permettant de faire face à toute éventualité, ce qui était hier irréversible ne l’était plus, que l’inenvisageable était quasiment programmé, et que tout serait pour le mieux dans la meilleure des Europes possibles après le départ forcé du mouton noir athénien…

Certes, M. Hollande, tel M. Seguin bramant après sa chèvre, adjurait la Grèce de rentrer au bercail pendant qu’il était encore temps en présentant « des propositions sérieuses et crédibles », en clair celles mêmes qu’elle avait rejetées. Le Président français est un adepte bien connu des synthèses en peau de lapin, ou plutôt des lapins en peau de synthèse qu’il sort au dernier moment de son chapeau, mais faute d’avoir eu le cran de prendre en temps utile la tête d’une jacquerie des pays du Sud européen contre une monnaie et une politique qui plombent leur économie et exaspèrent leur population, le prestige et la capacité d’entraînement de la France dans les instances communautaires sont au plus bas.

Au bord du gouffre, l’hésitation est venue hier soir, in extremis, d’où on ne l’attendait pas. En dépit de son attachement bien connu et inlassablement réitéré à l’orthodoxie libérale et des mots définitifs qu’elle a eus pour écarter toute négociation qui ne commencerait pas par la capitulation du plus faible, Mme Merkel n’a pas envie de rester dans l’Histoire comme celle par la faute de qui le couple franco-allemand a divorcé, la monnaie unique éclaté, la construction européenne reculé. De son côté, Aléxis Tsípras, comme effrayé par la tempête qu’il a déchaînée en ouvrant l’outre où étaient enfermés tous les vents, semble avoir la main qui tremble et parle soudain de « compromis honorable », curieux oxymore car, dans l’occurrence, l’honneur pourrait bien s’arrêter là où commencerait le compromis.

Il est clair qu’au dernier moment, aucun des protagonistes du drame qui se joue sur la scène du théâtre de l’Europe n’entend endosser la responsabilité de la rupture. Mais est-il encore possible, est-il encore temps de colmater la fissure ? Des engrenages se sont mis en marche, que les somnambules qui nous gouvernent sont dans l’incapacité d’arrêter, a fortiori d’inverser. Ce n’est que dans les dessins animés qu’on peut remonter sur la falaise d’où l’on a sauté. À Athènes, tout donne à croire que les olives sont cuites.

Boulevard Voltaire – La liberté guide nos pas