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Les relations demeurent tendues entre les résidents de Châteauguay et les Mohawks de Kahnawake. Malgré plusieurs tentatives de rapprochement, les deux communautés semblent incapables de se réconcilier et de faire la paix sur les événements de 1990.

Jean-Philippe Robillard

Pour plusieurs résidents de Châteauguay, impossible d’oublier le fait que les Mohawks ont bloqué le pont Mercier et paralysé la région pendant plusieurs semaines. Pour les Mohawks, impossible d’oublier la haine et la rancœur dont ont fait preuve les Québécois à leur égard pendant la crise.

Si bien qu’aujourd’hui, les tensions sont palpables entre les deux communautés. Et rien n’indique que la situation soit sur le point de changer.

« À mon avis, ça me surprendrait énormément qu’un jour on se dise : « les Mohawks, c’est le fun, on les aime. » » — Jean-Bosco Bourcier, ex-maire de Châteauguay

Les résidents de Châteauguay et de Kahnawake ont beau être voisins, ils ont peu d’échanges depuis la crise. Selon le conseiller municipal de Châteauguay Michel Pinard, les deux communautés vivent côte à côte sans réellement tisser de liens. « Les relations d’avant la crise étaient meilleures qu’elles sont aujourd’hui. On a l’impression que Kahnawake, ça existe en parallèle à notre réalité ici, à Châteauguay », dit-il.

Pour l’ancien maire de Châteauguay Jean-Bosco Bourcier, ce sont aujourd’hui « deux sociétés complètement séparées l’une de l’autre autant par les lois, autant par la langue, autant par l’économie. »

Malgré des efforts de rapprochement, les plaies restent vives tant chez les Blancs que chez les Mohawks.

« Ça laisse des cicatrices. Moi, je ne suis pas du tout intéressé à magasiner, à jouer au golf à Kahnawake ou à manger à Kahnawake. Du fait, d’une part, qu’ils ne veulent pas parler français – tout est en anglais -, qu’ils continuent de vendre du tabac. On dirait qu’ils se fichent de nous », souligne l’ancien maire Bourcier.

« Avant, j’allais manger à l’occasion sur la réserve. Aujourd’hui, […] ça ne me viendra pas à l’idée d’encourager un commerce à Kahnawake. » — Michel Pinard, conseiller municipal de Châteauguay

Comme à Châteauguay, certains résidents de Kahnawake n’ont toujours pas oublié ce qu’ils ont vécu pendant la crise et continuent d’avoir encore beaucoup de ressentiment à l’égard de leurs voisins.

Le grand chef de Kahnawake à l’époque, Joe Norton, est conscient qu’il y a encore des tensions raciales. « On n’a pas toujours de bonnes relations lorsque nous allons à Châteauguay. Nous sentons beaucoup de racisme et de colère contre nous », dit-il.

Selon Noé Beauvais, un Mohawk qui a vécu la crise, le racisme est monnaie courante à Châteauguay. Sa famille et lui en sont victimes.

« Ils nous regardent avec des yeux de travers […] Si y’auraient une carabine pour nous tirer, ça pourrait aller à ce point là. On est haïs, surtout avec les Blancs, c’est épouvantable. Mais pas toute la gang par exemple. » — Noé Beauvais, Mohawk

Jean-Bosco Bourcier ne croit pas que les tensions raciales entre les deux communautés vont s’atténuer. « À mon avis, il y aura toujours du racisme, que ce soit à cause du commerce, que ce soit à cause de la langue, que ce soit à cause des revendications. »

La crise d’Oka en 1990

  • 11 mars

    Les Mohawks de Kanesatake dressent une barricade à l’entrée d’un chemin de terre pour protester contre le projet d’agrandissement du golf d’Oka.

  • 10 juill.

    Le maire d’Oka demande à la Sûreté du Québec de faire respecter une injonction ordonnant la levée de la barricade érigée par les Mohawks.

  • 11 juill.

    Les Mohawks de Kanesatake dressent une barricade à l’entrée d’un chemin de terre pour protester contre le projet d’agrandissement du golf d’Oka.

    Le maire d’Oka demande à la Sûreté du Québec de faire respecter une injonction ordonnant la levée de la barricade érigée par les Mohawks.

    La Sûreté du Québec intervient pour démanteler la barricade. Le caporal Marcel Lemay, 31 ans, est tué au cours de la fusillade. L’opération policière est ratée. Les Mohawks de Kanesatake, aidés par les Warriors, bloquent la route 344. Quelques heures avant l’assaut, d’autres Mohawks bloquent le pont Mercier en guise de solidarité.

  • 1er août Quelque 10 000 résidents de Châteauguay manifestent devant les barricades de Kahnawake et réclament l’intervention de l’armée.
  • 8 août

    Le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, nomme le juge Alan B. Gold comme médiateur. Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, demande l’intervention de l’armée.

  • 12 août
  • Une manifestation de « Solidarité Châteauguay » est violemment réprimée par la Sûreté du Québec.

  • 15 août

    L’armée s’installe dans les villes à proximité d’Oka et de Kahnawake.

  • 28 août Des Mohawks qui partent de Kahnawake sont lapidés à LaSalle.
  • 29 août L’armée et les Warriors s’entendent pour le démantèlement d’une première barricade à Kahnawake.
  • 1er sept.
  • En matinée, l’armée pénètre à Kanesatake et encercle la quarantaine d’Autochtones qui résistent encore. Cette manoeuvre donne lieu à des confrontations entre soldats et Warriors, dont une célèbre entre un Warrior et un jeune soldat du 22e Régiment, Patrick Cloutier. En soirée, à Kahnawake, l’armée prend le contrôle du pont Mercier.

  • 6 sept.
  • Le pont Mercier est rouvert.

  • 18 sept.
  • L’armée et la SQ effectuent une opération sur l’île de Tekakwitha, à Kahnawake, pour saisir des armes. L’intervention provoque une explosion de violences. Dix militaires et plusieurs Mohawks sont blessés.

  • 26 sept.
  • 78 jours de siège plus tard, et après avoir tenté de fuir, les Warriors et leurs sympathisants se rendent à l’armée.

Signe des tensions qui existent entre les deux communautés, alors que nous étions en tournage à Châteauguay, nous avons été intimidés par un Mohawk qui s’en est pris à nous verbalement. L’homme menaçait de nous attaquer physiquement sous prétexte que notre caméra était pointée vers la réserve.

Un climat beaucoup moins tendu à Oka

Le calme est revenu dans la pinède, et le village d’Oka a retrouvé le côté paisible qu’il avait perdu en 1990. Alors que les barricades et les blindés de l’armée sont maintenant chose du passé, les touristes et les amateurs de vélo sont de retour dans la région.

Les résidents d’Oka et les Mohawks de Kanesatake ont aussi recommencé à se côtoyer, mais la crise demeure un sujet délicat et les blessures qu’elle a engendrées se font encore sentir des deux côtés.

Sur la route 232, des Mohawks de Kahnawake observent les citoyens de Châteauguay qui manifestent leur mécontentement. Photo : KORLCC

Jean Jolicoeur ne s’est jamais remis de ce qu’il a vécu en 1990. Comme beaucoup de Blancs, il a été expulsé du territoire après la crise. « Ça a laissé des séquelles, énormément de séquelles, et vous savez qu’il y a des gens qui ne s’en sont pas remis », dit-il.

Selon Jean Jolicoeur, les deux communautés réapprennent à vivre ensemble en prenant bien soin d’évacuer les événements de 1990 de leurs discussions. « Tout le monde va magasiner dans les mêmes endroits, sans nécessairement se confronter et se dire : « c’est vous autres qui êtes responsables de la crise en 90 » », explique-t-il.

« Il n’y a pas cette familiarité qu’il y avait auparavant, mais il n’y a pas d’agressivité non plus. Sauf que c’est comme s’il y avait quelque chose, anguille sous roche, parce que les dossiers ne sont jamais réglés. » — Jean Jolicoeur

Clinfton Nicholas n’oubliera jamais ce qu’il a vécu en 1990, l’été de ses 18 ans. « Moi je me rappelle des hélicoptères en haut de ma maison, des lumières dans la fenêtre, d’être traité comme un criminel, comme un terroriste. Je n’ai jamais oublié ça. C’est la grosse cicatrice dans mon cœur. »

Il affirme que plusieurs membres de sa communauté partagent cette douleur et qu’encore aujourd’hui, certains Mohawks boycottent les commerces d’Oka. « il y a encore des gens qui ne magasinent rien, rien au village d’Oka ».

Les séquelles de la crise sont telles, qu’à Oka comme à Kanesatake peu de gens osent en parler publiquement.

L’ancien maire de la paroisse d’Oka comprend que les gens hésitent à parler d’événements qui les ont fait souffrir. « C’est peut-être un sentiment de crainte de dire des choses qui pourraient blesser ou fâcher. Durant la crise, beaucoup de familles se sont séparées, se sont divisées […] Aujourd’hui, [les gens] veulent tout simplement oublier parce que le calme est revenu. »

25 ans après la crise, certains Autochtones souhaitent maintenant que les Québécois et les Mohawks enterrent leurs vieux souvenirs et tournent, une fois pour toutes, la page sur ces tristes événements qui les ont divisés.