Étiquettes
En Valais comme dans les Grisons, on s’attend à une baisse des nuitées de 10% cet été. L’abandon du taux plancher teste la capacité de réaction des stations alpines. Genève l’urbaine, en revanche, attire encore
Sur le planning de son hôtel trois étoiles, le mois d’août est presque vide. A la Rotonde, au centre de Verbier, passé le festival de musique, «ce sera le désert». Carole Bircher se demande parfois pourquoi elle travaille durant l’été. Elle n’a pas engagé de personnel pour la fin de la saison, alors elle bricolera. A l’Hôtel de la Poste, sa voisine fera de même.
Depuis le 15 janvier et le franc fort, le Valais a perdu 5% de ses nuitées, surtout sur les marchés européens. Dans l’immédiat, on baisse les prix un peu partout pour ne pas perdre les clients. A long terme, il faudra améliorer la qualité et la diversité de l’offre pour conquérir de nouveaux marchés.
A l’Observatoire valaisan du tourisme, Nicolas Délétroz n’a plus envie de parler du franc fort, «pour ne pas entretenir la sinistrose». Il en a assez également de colporter les mauvaises nouvelles. Les chiffres qu’il collectionne sont moins bons que ceux de 2014, un exercice pourtant peu satisfaisant. En se basant sur près de 3000 objets dans une quarantaine d’agences, il annonce un été 2015 très difficile. Moins 10%, ses prévisions sont même plus pessimistes que celles de l’Ecole polytechnique de Zurich, qui constate un transfert des clients des Alpes vers les centres urbains.
Le week-end, les terrasses d’Evolène sont complètes. Mais la semaine, les rues de la station sont beaucoup plus calmes, les hôtels aussi. Dans le plus beau village de Suisse romande 2012, les visiteurs viennent surtout en fin de semaine, souvent pour une seule journée. Ce tourisme excursionniste fait la joie des restaurateurs et le malheur des hôteliers. Depuis janvier, le val d’Hérens a perdu 25% de ses nuitées par rapport à l’an passé.
Construit en 1901, L’Hermitage est le plus vieil hôtel de la station. Ses lames de vieux bois ont le charme désuet du début du siècle passé. Pour la plupart des chambres, la salle de bains est à l’étage et il n’y a pas de Wi-Fi. Ici, le temps s’est arrêté. Les clients sont Suisses et assez âgés. Ils viennent faire de la randonnée et le franc fort ne change rien à la routine de ces habitués. Mais pour juillet et août, le patron, Olivier Gaspoz, craint une baisse de 5% des nuitées. Ce sont surtout des Anglais qui ont annulé leurs réservations. Un peu plus haut dans la vallée, aux Haudères, Michel Métrailler travaille plus souvent avec des Français, des Belges et des Hollandais. Aux Mélèzes, le patron s’attend à un été difficile: «Heureusement que les Suisses viennent toujours. Ils nous sauvent.»
Pourtant, les nuitées des Confédérés baissent aussi depuis mars. «Regardez les plaques d’immatriculation. Il y a plus d’Européens que de Suisses», s’emporte Michaël Moret. Pour le nouveau directeur de l’Office du tourisme d’Evolène-Région, l’abandon du taux plancher met en danger le marché suisse, parce que les Alpes italiennes ou françaises proposent des prix beaucoup plus avantageux. Quand il consulte les offres en ligne, il est soucieux: «Le franc fort fait très mal.» Les réservations marchent moins bien que l’année passée, qui était déjà «très mauvaise». A Evolène, les nuitées sont en baisse depuis plusieurs années, et la cherté du franc n’explique pas tout. Pour Anne Sophie Fioretto, géographe spécialiste du tourisme, les querelles de clocher empêchent la mise en œuvre concrète de mesures décidées dans le cadre d’une stratégie à long terme. Dans le val d’Hérens, des occasions ont été manquées, en particulier la création de forfaits négociés entre différents acteurs. Les fantômes du passé freinent la station au moment où il faudrait réagir rapidement.
A Verbier, le modèle est différent, et les problèmes aussi. Volets clos, stores baissés: la plupart des chalets sont fermés. La saison n’a pas vraiment commencé. Quelques randonneurs croisent les ouvriers qui travaillent sous la chaleur étouffante. Ici on goudronne, là on refait une toiture. «Cet été, on va prendre une claque», prédit un travailleur. Depuis le début de l’année, le val de Bagnes a perdu 5% de ses nuitées. Avec 850 kilomètres de pistes, la destination a décidé de se positionner sur le VTT. Une enseigne de location de mountain bikes annonce: «Tarifs adaptés au franc fort.»
Tous les matins, Eric Cachart consulte les taux de change en buvant son café. «La Banque nationale nous réserve peut-être une bonne surprise?» Pas aujourd’hui. L’euro est à 1,036 francs. L’ancien journaliste possède deux hôtels, un quatre-étoiles et un cinq-étoiles rutilant sur les hauts du village. Dans le luxe, l’impact du franc fort est moindre, il se mesure plus souvent sur les notes de restaurant que sur les réservations. Seule la clientèle russe s’est raréfiée, lorsque le rouble a chuté.
Chez les propriétaires d’hôtels trois étoiles, le climat est plus tendu. Ils ciblent la classe moyenne, et quand la catégorie supérieure propose des rabais, ils perdent des clients. Très pressé, Marcus Bratter enchaîne les séances. Ses trois hôtels ont ouvert ce week-end. Ils ne sont pas pleins, «mais pas vides». Il y a dix jours, il était stressé devant les cases vierges des tableaux de réservation. Aujourd’hui, il sourit. La canicule a sauvé le début du mois, le festival de musique classique assurera la fin juillet. Pour remplir ses établissements malgré la cherté du franc, le plus grand hôtelier de la place pratique une politique des prix très agressive. A Verbier, il n’est pas le seul. Les rabais vont de 22 à 48%, selon les taux d’occupation des lits. Les hébergeurs ne perdent pas leurs clients, mais leurs marges fondent sous le soleil. Verbier vit sur les réserves.
Dans le val d’Hérens, on court après le temps perdu, à Verbier on brade les chambres. Moins les stations encaissent de taxes de séjour, moins elles peuvent consacrer d’argent à la promotion. Chez les hébergeurs aussi, l’érosion de la clientèle ou de la marge ralentit la modernisation des infrastructures. Les modes de consommation ont changé. Les touristes choisissent leur destination à la dernière minute et réservent en ligne. Pour séduire cette nouvelle clientèle, les solutions sont les mêmes un peu partout: il faut augmenter la qualité et la diversité des services, et communiquer sur des régions plus globales que les stations. A vingt minutes de route de Verbier, un peu à l’extérieur de Lourtier, l’Hôtel La Vallée se porte bien. Jean-Marc Pellissier vient d’investir dans un sauna. Il mise sur l’héliski l’hiver et sur le vélo l’été. Et il en a assez qu’on lui parle du franc fort.
