Après d’âpres négociations avec les pays de la zone euro pour arracher un troisième plan d’aide, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, doit désormais faire face à un second défi : faire voter les mesures impopulaires exigées par les créanciers d’Athènes au Parlement grec, tout en conservant sa majorité parlementaire. Le tout sur fond de colère populaire grandissante.
La tâche ne sera pas aisée. Le comité central de Syriza, le parti de M. Tsipras, a fait savoir mercredi qu’il rejetait les mesures d’austérité exigées par les créanciers d’Athènes en contrepartie du maintien du pays dans la zone euro, à une majorité de 109 voix sur 201. Le compromis du 12 juillet est, selon l’instance, un « coup d’Etat contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire » :
« Le 12 juillet, un coup d’Etat a été fait par Bruxelles, qui prouve que le but des Européens était de supprimer à titre d’exemple la parole d’un peuple qui avait osé envisager une autre voie que celle de l’extrême austérité proposée par le modèle néolibéral. »
La fronde était montée de l’aile gauche de Syriza. En tête de cette dissidence, le ministre de l’énergie, Panagiotis Lafazanis, la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou et l’ancienne vice-ministre des finances Nadia Valavani, qui a présenté sa démission dans la matinée.
M. Tsipras avait répondu à ces critiques lors d’un entretien diffusé à la télévision mardi soir :
« J’assume la responsabilité d’un texte auquel je ne crois pas, mais je le signe pour éviter tout désastre au pays. »
Soutien de l’opposition
Mecredi, à l’ouverture des débats, le ministre des finances, Euclide Tsakalotos, a repris les mêmes arguments, affirmant que l’accord conclu lundi n’était « pas un bon accord » mais que le gouvernement emmené par Syriza n’avait « pas eu le choix », à moins de précipiter la Grèce hors de l’euro. C’était « le jour le plus difficile de ma vie. C’est une décision qui me pèsera jusqu’à la fin de ma vie », a-t-il précisé.
Pour faire voter cet accord, le gouvernement devrait pouvoir compter sur les voix d’une large partie des députés Syriza – seuls une quarantaine sur les 149 ayant annoncé qu’ils voteraient contre. En outre, les 76 députés conservateurs de Nouvelle Démocratie, les 13 socialistes du Pasok et les 17 centristes de To Potami doivent voter en faveur de l’accord. De leur côté, les députés du parti néonazi Aube dorée et du Parti communiste KKE – 32 voix – n’avaient pas accordé au gouvernement, le 10 juillet, une « procuration » pour négocier à Bruxelles. Ils devraient logiquement voter contre.
Au Parlement, le leader du Parti communiste KKE, Dimitris Koutsoumbas, a mis en cause mercredi soir Alexis Tsipras. « Le peuple va payer le prix du pitoyable mémorandum de Tsipras (…). Vous dites que vous avez tout fait pour combattre le chantage de la troïka. Vous mentez. Vous n’avez présenté aucune alternative », a-t-il lancé dans l’institution.
Le gouvernement doit obtenir 151 votes en faveur du plan d’aide. L’inconnue réside donc dans l’attitude des parlementaires de Syriza et de l’allié de droite souverainiste ANEL (13 députés). Ce dernier laisse planer le doute sur son vote, tout en expliquant la nécessité de « soutenir » le gouvernement. Reste qu’ensuite M. Tsipras devra assumer d’avoir été soutenu majoritairement par l’opposition.
Journée de manifestations et de grève
Bien avant l’échéance parlementaire qui l’attend ce soir, à partir de 22 heures, le premier ministre a aussi dû affronter la colère de la rue grecque. Le syndicat des fonctionnaires (Adedy) a lancé mercredi un appel à la grève de vingt-quatre heures, le premier depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza.
L’Adedy a également appelé à des manifestations dans le centre-ville : la première, qui a eu lieu en fin de matinée, a rassemblé des centaines de personnes ; la seconde est prévue pour la fin de la journée, avec d’autres petits partis de gauche avant le vote au Parlement, sur la place Syntagma.
Pour nombre d’électeurs qui ont porté la gauche radicale au pouvoir en janvier, l’accord arraché au forceps à Bruxelles lundi constitue en effet une trahison de la volonté populaire exprimée dans les urnes le 5 juillet, quand 61 % des Grecs ont dit non à un précédent plan d’austérité.
Les banques toujours fermées
Si les députés grecs valident l’accord, il faudra ensuite que les Parlements de plusieurs autres pays se prononcent – dont la France mercredi, une commission du parlement finlandais jeudi et l’Allemagne vendredi – avant de voir se concrétiser la promesse faite à la Grèce de la négociation d’un nouveau plan d’aide.
Les banques, elles, restent fermées au moins jusqu’au 15 juillet, le temps que la BCE décide d’augmenter ou non leur ligne de crédit d’urgence, bloquée à 89 milliards d’euros.
Les partenaires européens d’Athènes s’efforcent pendant ce temps de trouver des financements d’urgence pour la Grèce, en attendant qu’un nouveau plan d’aide soit formellement mis en place, ce qui pourrait prendre au moins un mois.
Ce que propose Bruxelles, c’est un prêt d’urgence de trois mois, d’une valeur de 7 milliards d’euros, pris sur l’European Financial Stability Mechanism (EFSM), un fonds constitué d’argent communautaire censé aller aux pays de l’Union en difficulté. Ces derniers jours, deux pays, le Royaume-Uni et la République tchèque, ont émis des objections, disant ne pas vouloir porter un risque de non-remboursement de la part d’Athènes si ces fonds étaient alloués à la Grèce. Pour surmonter cette difficulté, la Commission est en train d’étudier le moyen de garantir ce prêt de 7 milliards. Avec notamment une partie des profits réalisés par la BCE sur ses achats d’obligations souveraines grecques (sont d’ores et déjà disponibles 1,85 milliard d’euros provenant de ces profits pour 2014).
La Grèce doit trouver 12 milliards d’euros d’ici à la fin d’août, y compris pour rembourser la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Dans un rapport publié mardi soir, le FMI a estimé que l’Europe n’en faisait pas assez pour la Grèce. Il juge indispensable un allégement important de sa dette, bien supérieur à celui qu’envisagent actuellement les partenaires européens d’Athènes et auquel certains, comme l’Allemagne, sont déjà réticents.