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Valère Gogniat

En Iran, l’industrie pétrolière est sous-développée et nécessite de nombreux investissements. (Vahid Salemi/AP/Keystone)

En Iran, l’industrie pétrolière est sous-développée et nécessite de nombreux investissements. (Vahid Salemi/AP/Keystone)

Téhéran a besoin d’investissements étrangers pour exploiter ses réserves d’or noir. Certains traders suisses se sont déjà rendus en Iran pour discuter des opportunités

Aux yeux des investisseurs du monde entier, l’Iran est un gigantesque terrain de jeu. Sa population (78 millions d’habitants) équivaut à celle de la Turquie. Son produit intérieur brut (404 milliards de dollars en 2014) rivalise avec celui de la Thaïlande. Mais, surtout, ses réserves pétrolières sont aussi élevées que celles du Canada.

Depuis l’annonce, mardi matin, d’un accord conclu sur le nucléaire, le monde du pétrole est en ébullition. Avec ses réserves de 160 milliards de barils d’or noir nichées dans ses sous-sols – 10% des réserves mondiales, de quoi subvenir aux besoins pétroliers de la Suisse pendant 1777 ans, ou à ceux de la Chine pendant 40 ans –, l’Iran fait saliver les investisseurs. «A nos yeux, ce pays est aujourd’hui l’économie la plus importante encore fermée aux investisseurs institutionnels», résument les experts de la banque d’investissement Renaissance Capital dans un rapport publié lundi. Pour eux, le processus de découverte de ce marché «est similaire à celui de la Russie au milieu des années 1990».

Sur les marchés, la nouvelle a d’abord provoqué la crainte. Car si le deuxième plus gros producteur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (après l’Arabie saoudite) pouvait soudain déverser son brut sur les consommateurs occidentaux déjà noyés par l’or noir irakien et saoudien, la situation de suroffre qui plombe actuellement les cours pourrait s’aggraver. Toutefois, les deux indices vedettes de Londres et New York s’affichaient en légère hausse mardi en fin de journée – les marchés ayant rapidement digéré l’annonce du matin.

Dès la levée des sanctions, l’Iran pourrait immédiatement écouler «ses réserves massives, stockées sur des tankers gigantesques», relève l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani. Selon les sources, il pourrait y avoir entre 20 et 40 millions de barils qui dorment actuellement dans le Golfe persique. Les négociants basés en Suisse le savent très bien. Début juillet, le directeur de la division pétrole du géant zougois Glencore, Alex Beard, s’envolait pour Téhéran avec une petite équipe pour rencontrer les plus hautes autorités concernées. «Des discussions préliminaires ont eu lieu sur la question d’opportunités commerciales liées à la fin des sanctions», explique un porte-parole en confirmant cette information du Financial Times. Contactées, les autres sociétés de négoce du secteur – Vitol, Trafigura, Gunvor – n’ont pas souhaité s’exprimer à ce sujet.

A moyen terme, le ministre iranien du Pétrole veut croire qu’un doublement des exportations est possible, l’Iran ne tournant qu’à 50% de ses capacités. «Les Iraniens ont tendance à se surestimer. L’impact planétaire sera ressenti dans trois à cinq ans. Pas avant», note Ardavan Amir-Aslani. Et pour cause, l’industrie pétrolière iranienne est sous-développée et nécessite de nombreux investissements. Ole Hansen, analyste chez Saxo Bank, y voit d’ailleurs «une opportunité très attractive pour toute l’industrie qui pourrait fournir la technologie et le savoir-faire nécessaire».

Les négociants qui ont multiplié ces dernières années les investissements dans les infrastructures physiques seraient-ils intéressés? «Je pense qu’ils iront en Iran surtout pour faire du commerce, et pas des investissements. Ces derniers proviendront plutôt de sociétés comme Shell ou ENI», commente Giacomo Luciani. Mais attention, le codirecteur du programme d’études «Oil and Gas Leadership» à l’IHEID souligne qu’actuellement la Constitution iranienne n’autorise pas les contrats de types «production sharing». Fréquemment utilisés entre les gouvernements des pays émergents et les sociétés pétrolières internationales, ces contrats divisent la production d’un puits entre les deux parties selon un pourcentage établi.

Pour l’heure, seuls des accords dans lesquels les sociétés fournissent des services mais n’ont pas la main sur le produit fini sont autorisés. «Généralement, les majors du pétrole ne sont pas intéressées par de tels contrats», explique Giacomo Luciani. Le parlement pourrait-il modifier la Constitution? Ardavan Amir-Aslani n’a pas d’inquiétudes: «Un subterfuge juridique sera trouvé pour attirer les majors pétrolières. L’Iran ne peut pas faire autrement pour avancer dans l’exploration.»

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