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accord sur le nucléaire iranien, Etats-Unis, Iran, Tim Guldimann
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- Tim Guldimann. (Keystone)
L’ancien ambassadeur de Suisse à Téhéran, Tim Guldimann, a contribué à rapprocher les intérêts iraniens et américains. Deux journalistes publient un recueil d’entretiens avec l’ancien diplomate
Pendant cinq ans (1999 – 2004), l’ambassadeur de Suisse à Téhéran, Tim Guldimann était, par ses fonctions, chargé des intérêts américains en Iran. Sa connaissance du persan et de la culture locale du dialogue lui permirent d’avoir de fréquents contacts avec des personnalités proches du pouvoir et de recueillir leurs confidences. En mai 2003, Guldimann transmit à Washington un memorandum qui reflétait les vues et énumérait des propositions des responsables iraniens pour une reprise du dialogue avec les autorités américaines. Cette note de deux pages transmise par fax au Département d’Etat américain énumérait les thèmes que les dirigeants de Téhéran étaient disposés à discuter. Cela allait du nucléaire à la coopération antiterroriste avec les USA en passant par la fin du support iranien aux militants anti-israéliens et la reconnaissance d’Israël au droit à l’existence. Cette initiative fut délibérément ignorée par Washington. Elle suscita de virulentes critiques dans la presse d’outre-Atlantique.
«À ce sujet», précise Tim Guldimann dans le livre d’entretiens qui paraîtra fin août en français et en allemand, «je ne me suis jamais exprimé publiquement. Les médias internationaux ont rapporté que j’avais transmis à Washington un document secret de deux pages. Plus tard, il a été remis à la presse et le «Washington Post» le publia. La première page décrit la voie d’une entente entre les deux pays. Elle porte le titre de «Roadmap» (feuille de route). La seconde page explique comment et dans quelle mesure le régime iranien appuie ce projet. Des personnalités américaines proches du gouvernement et opposées à cet accord, par exemple l’ancien ambassadeur US à l’ONU, John Bolton, ont prétendu publiquement que j’avais tout imaginé, menti et colporté et que le ministère américain des étrangères m’avait pour cela rappelé à l’ordre («rebuked»). À la fin de ma période iranienne, le ministre américain des Affaires étrangères, Colin Powell m’a transmis une chaleureuse lettre de remerciements pour mes services à Téhéran.»
Entre 2004 et 2006, alors que Tim Guldimann avait momentanément quitté les services diplomatiques pour un professorat à l’université, il a participé activement à ce qu’on a appelé des «négociations de l’ombre». Il s’agissait de trouver une entente entre les USA et Téhéran, en particulier dans la controverse à propos du programme nucléaire iranien. Tim Guldimann s’en explique:
«En 2000, j’ai fait la connaissance de Bill Miller, ancien ambassadeur américain qui s’occupait d’une fondation et qui était venu avec un astronaute américain voir l’éclipse de soleil dans le désert iranien. En 2004, il réunit un petit groupe d’anciens constructeurs de bombes atomiques américains dans le but de trouver une solution à la dispute nucléaire. Il me pria de me joindre à ce groupe en raison de mon expérience politique en Iran. C’étaient des personnes intéressantes: L’une d’entre elles était dans un avion qui accompagnait le bombardier qui largua la bombe atomique sur Hiroshima. Un deuxième avait inventé la bombe à hydrogène et un troisième était le spécialiste le plus éminent des centrifugeuses.
J’étais persuadé que l’on aurait pu exiger de l’Iran le respect du traité de non-prolifération des armes atomiques mais que Téhéran n’accepterait jamais les exigences occidentales de renoncer à son droit d’enrichir de l’uranium. Avec l’ancien ambassadeur iranien à l’ONU à New York, l’actuel ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, nous avions, dans ce groupe, émis l’idée d’une limitation de l’enrichissement sous strict contrôle international.
Je proposai de rendre publique cette idée. En raison du respect du secret militaire auquel d’autres membres du groupe étaient soumis, nous ne pouvions pas publier ce document au nom du groupe. Celui-ci accepta que nos propositions soient publiées dans un rapport de l’International Crisis Group (ICG). Je rédigeai ce rapport avec le Suisse Bruno Pellaud et deux autres personnes. Pellaud était auparavant directeur général adjoint de l’agence internationale de l’énergie atomique à Vienne.
Le rapport sortit en février 2006. C’était trop tard. À Téhéran, une demi-année auparavant, le président Ahmadinejad avait accédé au pouvoir et il n’était pas intéressé par une solution. Je crois cependant que ce rapport a eu sur le débat une certaine influence dans le sens que l’Occident n’excluait plus en principe un enrichissement de l’uranium iranien… L’Occident aurait pu, avant Ahmadinejad, c’est-à-dire sous la présidence de Khatami, trouver une solution à un niveau beaucoup moins développé de la technologie iranienne de l’enrichissement. L’Occident a agi beaucoup trop lentement, en particulier parce que l’influence d’Israël sur la politique américaine était beaucoup plus grande qu’aujourd’hui sous la présidence d’Obama.»
Extraits de «Demain la Suisse» Dialogue avec Tim Guldimann – diplomate et citoyen, par José Ribeaud et Christoph Reichmuth. Editions Alphil, Neuchâtel