
Alors que la zone euro est désormais présentée par la gauche et la gauche de la gauche comme « the place to be » justifiant « un accord à tout prix » pour y rester (même au prix d’un écartèlement social de la Grèce), un examen économique rapide laisse quand même perplexe sur l’avenir de cette verrue monétaire dans l’histoire du continent.
La zone euro, terre de déflation…
Premier problème: la zone euro est une indécrottable terre de déflation, cette vieille amie de la Prusse et de la rente. L’évolution des prix depuis dix ans le prouve à foison:
La situation globale des prix se situe au-dessous de la cible de 2% fixée par les traités depuis près de deux ans. Depuis la crise de 2008 (sept ans déjà…), la zone euro n’aura vécu que deux ans avec une inflation supérieure à 2%. Mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les biens industriels et les services vivent sous une inflation de 2% de façon ininterrompue depuis début 2009 et se sont situés autour des 2% entre 2005 et 2009.
Pour les entreprises françaises, cette situation d’équilibre est compliquée à gérer car la pression socio-fiscale augmente par ailleurs. La préservation des marges suppose donc soit de délocaliser pour aller vers des pays où les coûts socio-fiscaux sont moins élevés, soit de gagner en permanence de la productivité, ce qui se traduit par un chômage structurel.
En ce sens, la politique d’inflation faible, qui tourne à la déflation, organise un chômage élevé et une faible croissance qui sont autant de plaies pour l’économie française.
La BCE ne parvient pas à réanimer l’inflation en zone euro
La zone euro aime tellement la déflation que celle-ci paraît désormais inexorable. Mauvaise nouvelle tombée cette semaine: la politique d’assouplissement quantitatif lancée en début d’année par la BCE, avec une intervention mensuelle de 60 milliards sur le marché des dettes souveraines, ne permettra pas de revenir à une inflation de 2%.
Pour les gouvernements, ce pronostic constitue une véritable difficulté. L’économie européenne puise en effet dans ses « batteries de secours » pour relancer l’inflation. Pour y parvenir, la BCE maintient des taux bas, destinés à orienter les liquidités vers le financement de l’activité.
Manifestement, cette politique ne devrait pas porter des fruits suffisants. Malgré des perfusions colossales de liquidité, les économies de la zone euro devraient rester en « sous-régime » au moins jusqu’en 2018, ce qui signifie faible consommation et reprise atone, sans création d’emplois.
Cette description sommaire reste toutefois très optimiste, parce qu’elle part du principe que, d’ici là, les taux d’intérêt n’auront pas augmenté. On le voit, même dans un scénario positif, l’équation zone euro = prospérité vendue par les gouvernements européens (Moscovici en tête) depuis des années est une pure fiction.
Un scénario aggravé par la remontée des taux?
Je disais plus haut que l’économie européenne puise dans ses « batteries »: les taux bas imposés par la BCE comme par la Réserve fédérale américaine (et la banque d’Angleterre) sont une épine dans le pied pour la rémunération de l’épargne, notamment en Allemagne.
Rappelons en particulier que les Allemands ont placé environ 1.000 milliards d’euros (soit l’équivalent de l’intervention de la BCE sur le marchés pendant 18 mois…) sur des comptes d’assurance-vie dont 80% ont des taux garantis par l’assureur. Lorsque l’intervention de la BCE aboutit à des taux d’emprunt pour l’Allemagne inférieurs à 1%, cela signifie concrètement que l’assureur doit se débrouiller pour rémunérer ses portefeuilles à taux garantis supérieurs à 1%.
L’expérience montre que l’imagination des assureurs a des limites (statistiquement rapidement atteintes). La pression se fait donc forte, notamment en Allemagne (mais pas que… l’ensemble des places financières est agité par le même sujet) pour arrêter ces politiques d’assouplissement quantitatif et revenir à des taux plus intéressants pour les épargnants.
C’est aussi sous ce prisme qu’il faut lire la crise grecque: les Allemands ont le sentiment de sacrifier l’euro fort (et la rémunération de leur épargne) à des politiques accommodantes destinées à préserver le confort des mauvais élèves. Ils sont convaincus que si tout le monde jouait le jeu (= pratiquait des réformes structurelles drastiques), les taux pourraient remonter sans dommage pour l’économie réelle.
Le débat sur la remontée des taux
Deux banquiers centraux « mondiaux » ont déjà clairement posé la question de la remontée des taux. Il s’agit de Janet Yellen, qui dirige la Fed, et de Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre. Ces deux pointures ont d’ores et déjà placé dans la zone radar une décision de principe dans les mois à venir favorable à cette remontée. Mais le président de la Banque Fédérale allemande (BuBa), le rigide Jens Weidmann, répète (sans surprise) la même chose depuis 2013.
Plusieurs obstacles se dressent aujourd’hui face à une remontée des taux. L’effet de celle-ci est en effet immédiat.
Premièrement, il pousse les investisseurs à revenir vers les marchés occidentaux, alors que les liquidités inondent largement les marchés émergents. Une remontée des taux se traduit par des bugs immédiats et en série pour ces pays, Chine comprise. La crise qui a sévi sur le marché de Shangaï ces dernières semaines oblige à être très prudent avec ce mécanisme, car il constitue un risque important d’instabilité financière mondiale.
Deuxièmement, la remontée des taux, si elle facilite la rémunération de l’épargne, raréfie le recours au crédit bancaire. Elle constitue donc un goulot d’étranglement pour l’investissement dans les entreprises. De ce point de vue, l’arbitrage entre l’épargne et la production (le travail diraient certains) peut constituer un danger létal pour la prospérité collective.
Troisièmement, la remontée des taux a un effet mécanique sur les obligations: la valeur de celles-ci est inversement proportionnel à leur taux de rémunération. Des obligations achetées à prix d’or mais à faible taux d’intérêt deviennent donc des actifs « pourris » lorsque les taux remontent. C’est curieux, mais c’est la règle du jeu sur le marché obligataire. Les règles prudentielles adoptées depuis 2009 obligent alors à passer des moins-values réelles pour les détenteurs de ces titres (banques et compagnies d’assurance). Et là, c’est le spectre d’une nouvelle crise financière qui arrive.
Rémunérer l’épargne, ou la mort lente de la zone euro
Structurellement, la zone euro a donc un problème avec ses épargnants. Ils sont nombreux, riches, et souvent hanséatiques (si l’on me pardonne cette expression qui a le mérite d’être « historique »). Ils en veulent pour leur argent: c’est-à-dire des taux d’intérêt élevés et sans risque. Cela suppose une ponction sur l’activité réelle qui est difficilement compatible avec une forte expansion.
La BCE est en train de tordre la réalité pour explorer les marges maximales qui lui sont données pour préserver la production de richesse. Mais la manoeuvre fonctionne mal et les épargnants commencent à s’impatienter: ils préfèreraient que l’on revienne à une rémunération efficace de la rente, plutôt que d’aider tous ces fainéants du Club Med: Français, Grecs, Italiens, Portugais, Espagnols…
Le problème est que la récession touche aussi des pays hanséatiques comme la Hollande…
Peu à peu, la zone euro doit faire le constat douloureux qu’elle n’est pas conçue pour assurer la prospérité de ses membres, mais seulement pour celle de ses épargnants.
Et ça, en phase de révolution technologique disruptive, c’est un moment douloureux…

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