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Elevage

Il faut fouiller un peu pour comprendre que la crise de l’élevage agricole en France est d’abord le produit d’un affaiblissement de notre pays sur la scène européenne, couplé à une cécité profonde de nos élites sur le sujet.

L’élevage et la suppression des quotas laitiers

A titre d’exemple, la Commission Européenne a décidé en avril de supprimer les quotas laitiers instaurés dans les années 80 pour lutter contre la surproduction. Comme par hasard, le Commissaire à l’Agriculture n’est autre que l’Irlandais Phil Hogan: un choix pertinent de Jean-Claude Juncker et de ses donneurs d’ordre, puisque l’Irlande fait partie des pays qui organisent un élevage dans des fermes industrielles pour augmenter la production de lait à bas prix.

Avant même la suppression des quotas, de nombreux acteurs du secteur ont alerté sur les risques économiques de l’opération, mais leur voix n’a guère porté. Le ministre de l’Agriculture Le Foll a déclaré à cette époque:

« C’est un choix de libéralisation, on ne va pas revenir dessus », a indiqué le ministre à l’Afp mardi. « Mais on a permis aux producteurs de s’organiser entre eux et maintenu un filet de sécurité avec la possibilité d’apporter des restitutions (dédommagements) en cas de détérioration grave du marché ».

On voit les résultats aujourd’hui. Dans la pratique, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne ont imposé une suppression des quotas en étant parfaitement conscients que cette mesure les favorisait.

Depuis lors (et même dès 2014), la France ne parvient (mais ceci ne peut guère nous étonner) pas à imposer des mesures compensatrices, appelés « mécanismes pour l’après-quota laitiers »:

« J’ai du mal à trouver des alliés là-dessus », a admis le ministre en marge de ses voeux à la presse et aux parlementaires.

« J’ai vu hier à Bruxelles le ministre belge qui veut travailler sur ce sujet » et il y a des « discussions avec les Italiens », a détaillé Stéphane Le Foll. (…)

Paris souhaite « enclencher un processus pour trouver des pays sur lesquels on puisse s’appuyer pour, non pas revenir sur les quotas laitiers (…) mais voir comment on peut mieux coopérer sur cette question laitière », a expliqué Stéphane Le Foll.

Autrement dit, la déstabilisation des filières françaises par les producteurs « industriels » européens est tout sauf une surprise, et il faut une bonne dose d’hypocrisie pour rejeter la responsabilité de cet état de fait parfaitement anticipable sur la grande distribution. Mais il est tellement plus facile de demander aux entreprises de payer pour les erreurs et les faiblesses des politiques…

La guerre en Ukraine n’arrange rien

Autre signe de l’affaiblissement politique de la France sur la scène européenne (à un moment où François Hollande se vit en nouveau Charlemagne…), la crise ukrainienne achève l’implosion des filières d’élevage français.

Pour punir Poutine d’avoir soutenu les Ukrainiens pro-russes, l’Union Européenne a en effet décidé de sanctions unilatérales contre la Russie. Pour se venger de ces mauvaises manières, Poutine a imposé en 2014 un embargo sur les produits alimentaires venus de l’Union. Très vite, la filière viande en a souffert en France, et paye désormais le prix fort.

Il nous manque aujourd’hui une vision claire du coût que représente le soutien aux Ukrainiens véreux qui nous la jouent victimes de ces méchants Russes. L’argument ukrainien est suffisamment émotionnel pour justifier que nous, alliés historiques de la Russie, endossions une guerre qui n’est pas la nôtre et qui a des conséquences sociales directes sur le pays sans nous poser la moindre question sur l’intelligence de ce choix. Il est de toute façon piloté depuis Berlin et nous pouvons toujours nous brosser pour le changer.

Là encore, la France est non seulement incapable d’infléchir la rigidité prussienne dans la crise ukrainienne, mais elle est même incapable d’obtenir de Bruxelles un plan compensatoire pour les effets de l’embargo que subit son agriculture.

La crise de l’élevage, une responsabilité politique française majeure

La crise de l’élevage s’explique d’abord par la mise en place d’un marché unique, fondé sur le libre-échange, où l’agriculture industrielle du nord de l’Europe qui mise sur des espèces très productives comme la Holstein concurrence directement nos producteurs éparpillés dans une multitude de petites entités et attachés à des espèces moins rentables. La crise résulte donc d’un choix politique direct, assumé, conscient de mise en concurrence à armes inégales, et il est malhonnête de la part de l’équipe au pouvoir de dissimuler les causes évidentes du malaise.

Mais il est vrai que, pour le gouvernement, la situation n’est pas simple à endosser. A tous les échelons, le bateau français prend l’eau et la responsabilité personnelle de François Hollande dans cette faillite est écrasante.

Pour des raisons qu’il faudra éclaircir un jour, François Hollande a vendu chèrement la nomination de Moscovici au commissariat à l’économie. Le seul bénéfice que la France retire de cette nomination est une forme d’indulgence de la Commission vis-à-vis de notre immobilisme intérieur. Pour le reste, parce que l’Allemagne ne voulait pas de Moscovici et que sa désignation est devenue un enjeu majeur pour la France, nous avons perdu toute possibilité de contrôler les autres nominations. Notamment celle de Phil Hogan à un poste où il avantage manifestement son pays d’origine à notre détriment, et plus particulièrement au détriment de nos éleveurs.

Pour des raisons d’affaiblissement manifeste, la France n’a pas son mot à dire dans la crise ukrainienne et là encore, elle fait les frais de choix qui la pénalisent sans contrepartie. On voit mal à ce stade le gain que nous avons retiré de notre politique de rupture avec la Russie. On en mesure en revanche concrètement le prix.

Enfin, la France est incapable d’obtenir de l’Union des mesures compensatoires pour sa filière viande.

Bref, nous avons perdu nos positions historiques fortes, si l’on admet que la politique agricole commune fut longtemps LA contrepartie que la France retirait de sa participation à l’Union.

Mais ce désastre, bien entendu, on préfère le cacher et expliquer que la crise, c’est le fait des méchants intermédiaires, des méchants commerçants, qui seraient bien mieux inspirés et bien plus efficaces si le gouvernement leur imposait, comme au bon vieux temps, un prix de vente au consommateur.

http://www.eric-verhaeghe.fr