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Le 17 juillet, jour anniversaire de l’assassinat de la famille du tsar Nicolas II, une grande manifestation a été organisée pour lui rendre hommage… Quelle réaction ?
J’ai été très impressionné parce que cette manifestation n’était pas officielle mais bien spontanée ! Je trouve cet élan populaire vraiment sain, il est le signe des retrouvailles de la Russie avec son histoire.
Cette manifestation était impressionnante par le nombre : elle marque une rupture avec les mythes de la Russie que les Occidentaux ont créés et continuent à entretenir, notamment autour de la révolution russe.
80 % des Russes se disent aujourd’hui nostalgique de l’empire, et donc également de l’Empire soviétique. Mais 80 % refusent aussi catégoriquement le communisme.
Il est vrai que les Russes sont nostalgiques de leur passé, mais c’est surtout de la grandeur russe et cette manifestation vient de le prouver.
On a parfois l’impression que toutes les périodes de l’histoire de la Russie se valent aux yeux des Russes…
Elles ne se valent pas dans leur contenu, mais parce qu’elles constituent l’histoire de la Russie.
Cette manifestation a mis en exergue le fait que la population russe a rompu avec le communisme pour se réconcilier avec la Russie éternelle. Rendre un hommage pareil à la famille du tsar, c’est clairement refuser l’histoire féroce qui a mis un terme à ce régime.
La population russe présente lors de cette manifestation a laissé comprendre qu’elle percevait la famille du tsar comme un symbole : celui du martyre de la Russie.
Après la famille du tsar, ce sont 25 millions de Russes qui ont été assassinés par le communisme soviétique, et 26 millions qui sont morts dans la guerre contre le nazisme ! Je tiens ces chiffres d’Alexandre Iakovlev, qui était le numéro 2 de Gorbatchev, il est incontestable.
En rendant hommage au tsar, la Russie profonde rend hommage à tous ses morts et reconnaît le délire criminel du régime bolchevique.
Mais le martyre du peuple russe ne s’est pas arrêté là : la période post-communiste a été ratée. En 1992, il y avait 1.800 % d’inflation. Le peuple russe n’a cessé de souffrir, et l’Occident n’a jamais reconnu cette souffrance.
Les Russes en veulent-ils à l’Occident de cette incompréhension ?
Bien entendu ! À mon époque, 80 % des Russes étaient pro-Occidentaux bien sûr, mais aujourd’hui, ils sont 80 % à être anti-américains.
La crise actuelle entre l’Occident et la Russie révèle malheureusement cette incompréhension.
Je vais prendre un exemple : l’absence occidentale lors de la cérémonie de commémoration de la Seconde Guerre mondiale à Moscou était d’une bêtise crasse, et je le dis en tant qu’ancien diplomate. Elle a été ressentie par les Russes comme un mépris pour leur histoire.
Cette nouvelle manifestation d’hommage à la famille du tsar préfigure un nouveau désaccord sérieux avec l’Occident. Dans deux ans, ce sera le centenaire de la révolution russe et il y aura nécessairement un débat autour de cette question.
Pour beaucoup de Russes, la révolution a été contre-productive. En Occident, le politiquement correct en est nostalgique. Pour la gauche caviar occidentale, la révolution était une bonne chose, mais les Russes ont été incapables de se servir de cette bonne idée ! C’est une connotation raciste à l’égard du peuple russe que je ne supporte pas.
Qu’en est-il du sentiment des autorités russes sur cette histoire de la Russie ?
Le peuple russe refuse désormais la folie de la terreur bolchevique. Vladimir Poutine est quelqu’un de très pragmatique qui tiendra évidemment compte de cet avis populaire.
Poutine a évolué et je crois pouvoir dire qu’il n’est plus complaisant à l’égard du communisme. Il est vrai que c’est un homme aux multiples facettes, et que certaines de ses déclarations ont été ambiguës. Il avait par exemple déclaré : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur, celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête. » On fait difficilement plus flou…
Mais il faut aussi comprendre qu’il existe une autre tendance en Russie, dans le contexte d’une crise avec l’Occident : celle de défendre les acquis de l’Empire soviétique tels que le nucléaire, l’activité spatiale ou la lutte contre le nazisme.
La menace n’est plus la même et le peuple russe pense aujourd’hui que l’Occident a trahi son âme, notamment par rapport à l’islamisme.
Le danger de rupture est réel : la priorité, pour les Russes, est aujourd’hui de défendre leurs valeurs contre l’islamisme. Poutine l’entend, l’Occident pas toujours.
Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas