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Antoine Menuisier Paris

 

Partout, les agriculteurs dénoncent – ici en barrant un pont à Morlaix, en Bretagne – les conditions qui leur sont imposées par les intermédiaires de la filière de la viande. (Keystone)
Partout, les agriculteurs dénoncent – ici en barrant un pont à Morlaix, en Bretagne – les conditions qui leur sont imposées par les intermédiaires de la filière de la viande. (Keystone)

Alors que le mouvement des barrages routiers semblait devoir perdurer, des professionnels de l’agriculture plaident pour un regroupement des forces dans des exploitations plus grandes.

Puissance agricole, première en Europe, la France peine à nourrir ses agriculteurs. Notamment ses éleveurs, qui protestent contre la politique du prix de la viande, dont ils disent pâtir gravement. «Entre producteurs, industriels et distributeurs, nous sommes face à une équation impossible, confie au Temps le secrétaire général de la Fédération nationale bovine (FNB), Pierre Vaugarny. Bien souvent la rémunération mensuelle réelle des éleveurs de bovins ne dépasse pas 500 euros.»

En lutte depuis début juillet, bloquant les routes et semant la pagaille, «unique moyen de se faire entendre», ce secteur agricole réclame d’être mieux payé. Cela passe, entre autres changements, par une redéfinition des marges engrangées par le reste de la filière. Si les distributeurs – les super et hypermarchés – semblent avoir «joué le jeu» jusqu’ici en augmentant leurs prix de quelques centimes d’euros, les industriels qui transforment la matière brute font figure de coupables et sont dans le collimateur des producteurs.

Le syndicat FNB menace, par la voix de son secrétaire général: «Nous avons ciblé certains industriels, qui se sont enrichis sur notre dos, alors qu’ils auraient dû nous acheter la viande à un prix plus élevé. S’ils ne nous rémunèrent pas plus, nous demanderons aux distributeurs de les déréférencer (les boycotter, ndlr). Cela les fera réfléchir», prévient-il. Côté éleveurs, au moins 40 000 emplois seraient en jeu, 25 000 exploitations étant au bord du dépôt de bilan, selon le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll.

Le président de la République, François Hollande, en déplacement hier à Dijon, a manifestement entendu les revendications de ces derniers, pointant du doigt les industriels de l’abattage, qui devront rendre «des comptes sur ce qui est en cause dans la filière».

La veille, le gouvernement avait annoncé un plan d’urgence doté de plus de 600 millions d’euros, assorti de 24 mesures, dont un rééchelonnement des dettes, une incitation à consommer «français» dans les cantines scolaires, ainsi que des aides à l’exportation.

Ces annonces laissent Pierre Vaugarny sceptique. «Les dettes bancaires sont une chose, les dettes envers les fournisseurs en sont une autre, et souvent plus élevées encore: il y a ce que l’éleveur doit au vétérinaire, au mécanicien, à la coopérative, au marchand de compléments alimentaires», détaille-t-il, conscient que cet endettement structurel révèle une crise profonde du «modèle agricole français», dont la production représente 1,7% du PIB. Les pouvoirs publics disent pourtant vouloir le préserver. «Politiquement, c’est très sensible», note Pierre Vaugarny, qui reconnaît là un enjeu identitaire.

De quoi parle-t-on? D’une exploitation familiale d’une cinquantaine d’hectares et d’une cinquantaine de bêtes, à viande ou laitières. Faire face, seul, dans la mondialisation, aux charges d’une telle entreprise s’apparente à une mission impossible. Si le secrétaire général de la FNB témoigne de son attachement à ce «modèle familial», il prône en revanche une approche «non dogmatique» de la situation.

Alors que la dispersion des forces semble mener vers l’abîme, l’heure est au regroupement des exploitants et des moyens. Le but est de réduire les coûts de fonctionnement et d’investissement. Il est également de pouvoir avoir une véritable vie de famille, avec des loisirs, sans qu’il soit besoin de payer un ouvrier pour s’occuper des animaux pendant les rares moments d’absence.

Mais réduire les coûts, c’est aussi voir plus grand, jusqu’à mille bêtes. Rompant avec la tradition de l’exploitation moyenne, des éleveurs du Massif central réunis en un collectif ont entrepris d’engraisser mille veaux, avec un industriel pour unique client, ainsi que le rapportait en mars un reportage du quotidien Les Echos.

Au Merzer, petite commune bretonne des Côtes-d’Armor, Pierre-Yves Lozahic, marié, quatre enfants, volailler et cultivateur, a vu grand tout seul: une cinquantaine d’hectares. Trop grand sans doute. Endetté, il s’estime insuffisamment payé. Son épouse, enseignante dans un établissement privé, rapporte la seule paie régulière du foyer. Mercredi à Loudéac, lui et d’autres agriculteurs, raconte-t-il, ont intercepté un «24 tonnes rempli de filets de poulet thaïlandais, un chargement destiné à un charcutier français». Il ne fait pas mystère du sort qu’ils ont réservé à cette marchandise.

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