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Bien que les négociateurs iraniens ne lui aient jamais serré la main, Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne, ne s’est pas montrée rancunière. Le 14 juillet, elle a sobrement tweeté «IranTalks done. We have the agreement» (négociations avec l’Iran, c’est fait. Nous avons l’accord). Illustrant ainsi un rare moment de jubilation dans la communauté internationale, mettant fin à treize ans de crise.
L’accord sur le nucléaire iranien à peine signé à Vienne, les dirigeants occidentaux ont afflué à Téhéran. Avec la levée des sanctions économiques par l’ONU, c’est un marché de 80 millions de personnes qui s’ouvre aux Européens et aux Américains friands de nouveaux débouchés. Les besoins de l’Iran en matière d’infrastructures sont énormes (transport aérien, réseau ferroviaire, routes et autoroutes), et la jeunesse paraît avide de produits de consommation étrangers, dont elle a été privée pendant près de dix ans.
Les Suisses sont bien placés dans cette course aux contrats, ils peuvent espérer engranger les dividendes de leur rôle de médiateur. On comprend d’ailleurs mieux, rétrospectivement, pourquoi Micheline Calmy-Rey avait osé «parler avec le diable» Ahmadinejad, et même sourire sur la photo, en 2008. La cheffe du Département des affaires étrangères essayait humblement de renouer le fil des contacts, essuyant des critiques virulentes pour une politique de bons offices qu’elle ne pouvait expliciter au risque de tout compromettre.
Si l’histoire paraît soudain s’accélérer, il faut pourtant se garder de toute précipitation. Le risque existe que les Occidentaux passent pour des prédateurs et confirment les pires préjugés des leaders de la République islamique. Les résistances à une détente des relations avec les Etats-Unis n’ont pas tardé à s’exprimer. Deux jours après l’accord de Vienne, l’ayatollah Khamenei a fustigé l’arrogance américaine. Bras armé du régime, les Gardiens de la révolution ne sont guère disposés à l’ouverture (lire le reportage auprès des jeunes Bassidjis).
Une sorte de renversement des alliances au Moyen-Orient est l’autre retombée attendue de la fin du blocage sur le nucléaire. Les Occidentaux prendraient enfin leurs distances avec l’Arabie saoudite, dont le wahhabisme alimente les djihadistes terroristes, et constitueraient une coalition de facto avec l’Iran chiite contre l’Etat islamique.
La République islamique d’Iran, à la légitimité millénaire, atout décisif contre le sanglant et autoproclamé Etat islamique, le scénario est séduisant. L’ennemi de mon ennemi deviendrait mon ami, mais celui-ci se dévouera-t-il pour faire le «sale boulot» à ma place (c’est-à-dire envoyer des soldats combattre au sol jusqu’à la disparition totale de l’EI)? Dans le Moyen-Orient compliqué, il faut se garder de trop de simplifications manichéennes à l’occidentale. La soif de puissance de l’Iran peut-elle s’arrêter à un simple rôle de police régionale?