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Avocat et auteur d’un ouvrage sur le droit des partis politiques, Jean-Christophe Ménard du cabinet Samman analyse pour Contexte les propositions du rapport rendu par le député Romain Colas (PS) sur le financement de la vie politique.

Propos recueillis par Samuel Le Goff

Le rapport sur le financement des partis politiques, présenté par Romain Colas, est-il, selon vous, suffisamment ambitieux ?

Ce rapport une première étape avant une réflexion d’ensemble sur le financement de la vie politique.

Les mesures vers plus de transparence et de simplifications vont dans le bon sens. Certaines sont nécessaires, comme la publication des comptes des partis politiques ou celles relatives au contentieux électoral. Le rapporteur insiste à juste titre sur l’importance du contrôle et des moyens dévolus aux institutions qui en sont chargées.

D’autres propositions sont par contre plus timorées. Il manque également une réflexion sur le développement du mécénat politique en France.

Quelles réforme seraient nécessaires pour renforcer les contrôles ?

Le Conseil constitutionnel et la commission des comptes de campagne n’ont pas de pouvoir d’instruction. Ils se contentent d’approuver des comptes, dans un calendrier trop restreint. L’affaire Bygmalion montre bien les insuffisances du dispositif : les Sages ont identifié un dépassement de 460 000 euros dans le compte de campagne de Nicolas Sarkozy, alors qu’il est en réalité autour de 14 millions d’euros.

Une autre piste serait de fusionner la Haute autorité de transparence de la vie publique avec la commission nationale des comptes de campagne. Les contrôles seraient rationnalisés, avec une institution qui aurait des moyens conséquents.

Bien qu’elle y soit réticente, la Cour des comptes pourrait être chargée du contrôle des comptes des partis politiques.

Le rapport formule également des propositions d’encadrement des primaires internes des partis. Sont-elles suffisantes ?

L’encadrement du financement des primaires est un enjeu majeur. La prudence voudrait que les grands partis fixent les règles concernant l’organisation des primaires dans leurs statuts. Or, que ce soit au PS ou chez Les Républicains, il n’existe quasiment rien, dans les statuts, sur le financement et le contrôle de la sincérité du scrutin. Les hautes autorités mises en place sont largement insuffisantes.

Les primaires électorales ne sont pas soumises aux règles de financement de la vie politique, qui vise uniquement le financement des élections organisées par l’État. Ces élections relèvent de la liberté d’organisation interne des partis, garantie par l’article 4 de la Constitution, ce qui rend plus difficile un encadrement par la loi.

Cela voudrait dire que tout est permis dans le financement des primaires ?

Le financement n’étant pas encadré, les dons des personnes morales sont possibles, et celles des personnes physiques ne sont pas plafonnées. Il est possible pour les candidats aux primaires de solliciter de riches donateurs.

Des failles législatives peuvent être exploitées. Il est possible de créer une association loi 1901, et de la doter de réserves financières, avant de la déclarer comme parti politique, donc habilitée à financer une campagne électorale. Les fonds ayant été versés avant la déclaration à la commission des comptes de campagne, il n’y a aucune justification à fournir sur leur origine.

Les seules limites sont l’autodiscipline des partis et le droit pénal. Les dons de personnes morales peuvent être assimilés à des abus de biens sociaux par un juge. La mise à disposition gratuite de salles par une collectivité locale, pourrait être qualifiée de financement irrégulier d’un parti politique.

Les juges pourraient être amenés à intervenir davantage sur ces questions de financement et de fonctionnement des partis ?

Depuis quelques années, on observe une judiciarisation croissante des querelles internes aux partis. Lors de l’élection à la présidence de l’UMP, en novembre 2012, des huissiers ont été mandatés pour réaliser des constats, destinés à étayer des recours en justice, qui n’ont finalement pas été déposés.

Autre exemple récent, l’annulation par un juge civil du processus d’exclusion du Front national engagé contre Jean-Marie Le Pen.

Nous sommes dans une phase d’évolution de notre démocratie, où la légitimité ne repose plus exclusivement sur le suffrage, mais aussi sur le respect de la règle de droit.

Les partis politiques ne semblent pas en avoir pris conscience, et il existe en leur sein un certain déficit d’expertise juridique. Aux États-Unis, l’avocat est systématiquement intégré dans une équipe de campagne, ce qui n’est pas le cas en France.