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Dans la course à la Maison-Blanche, aucun démocrate déclaré ne peut rivaliser avec Hillary Clinton.
Photo: Jewel Samad Agence France-Presse Dans la course à la Maison-Blanche, aucun démocrate déclaré ne peut rivaliser avec Hillary Clinton.
Les congrès des deux grands partis politiques des États-Unis n’interviendront pas avant l’été prochain et le scrutin présidentiel, pas avant le 8 novembre 2016, mais la course à la Maison-Blanche bat son plein. Dans le camp démocrate, Hillary Clinton écrase ses rivaux déclarés, mais pour inexorable qu’elle semble être à ce stade, sa marche vers l’investiture reste fragile. Enquête du Devoir. Samedi prochain : le camp républicain.​
«Je n’ai violé aucune loi, les Américains devraient me faire confiance. » Prononcés par n’importe quel candidat à la présidence des États-Unis, ces propos signaleraient une campagne en perdition. Prononcés par Hillary Clinton, dans son premier entretien de candidate à une télévision nationale le 8 juillet, ils reflètent au moins une campagne en difficulté.

Blindée par l’aura d’inexorabilité de sa victoire ultime, Hillary Clinton peut résister à des vents contraires qui abattraient d’autres prétendants. Mais « un nuage plane sur sa candidature avec la question de sa fiabilité », selon Jules Witcover, spécialiste de la politique américaine et auteur de Party of the People : a History of the Democrats (RandomHouse, 2003).Chez les Américains, 57 % trouvent Hillary Clinton « pas honnête ni digne de confiance ». Depuis des mois, scandales et controverses ont soulevé le doute sur sa transparence, un critère essentiel aux yeux des électeurs. Parmi les sources de polémique : son usage exclusif d’un système de courriel personnel quand elle dirigeait la diplomatie des États-Unis, les dons à la Fondation Clinton de gouvernements discutables en matière de droits de l’a personne, l’attentat de Benghazi qui tua son ambassadeur en Libye le 11 septembre 2012, la déconfiture de ce pays après le renversement du colonel Kadhafi pourtant cité comme l’une des réussites de la secrétaire d’État, la crise en Syrie largement ignorée et l’émergence de l’organisation dite État Islamique sous son mandat, ou encore les tensions entre la candidate et les médias qui déplorent son goût pour le secret et son manque de disponibilité.

Tous ces boulets entraînent les opinions favorables enversHillaryClinton à leur plus bas niveau depuis avril 2008, date à laquelle elle bataillait avecBarackObama pour l’investiture démocrate en vue de l’élection présidentielle. Son déficit de confiance commence à entamer son statut de tête de file inéluctable du camp démocrate. Dans des sondages menés dans des États indécis importants et publiés mercredi,HillaryClinton est, pour la première fois, battue par trois des candidats républicains les plus en vue. Dans ces États, 55 à 69 % des électeurs expriment leur méfiance envers elle.Hésitations

Hillary Clinton a toujours eu une vulnérabilité du côté de la confiance auprès de ses compatriotes. Comme durant sa période de première dame des États-Unis, elle attribue le problème à un « barrage d’attaques des républicains » contre elle. Mais cette explication ne suffit pas. « Dans le grand public, il n’y a pas de désir impérieux de la voir s’élever jusqu’à la présidence, il n’y a pas de confiance en elle, d’estime ni d’affection pour elle, il lui manque un vrai rapport avec l’électorat », indique Jules Witcover, avant d’ajouter : « Sa campagne est hésitante. »Néanmoins, Hillary Clinton reste l’un des candidats les plus dominants de l’histoire des États-Unis à la Maison-Blanche. D’après la moyenne des sondages effectués entre les 9 et 21 juillet chez les électeurs de tendance démocrate, elle écrase ses rivaux déclarés pour l’investiture : le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, l’ancien sénateur de Virginie Jim Webb, l’ancien gouverneur du Maryland Martin O’Malley et l’ancien gouverneur du Rhode Island Lincoln Chafee. Elle devance de plus de 40 % Bernie Sanders dans les intentions de vote aux primaires et de 55 à 57 % les trois autres candidats. Elle écrase aussi ses rivaux financièrement. Plus de 45 millions ont été collectés au premier trimestre de sa campagne, un record qui oblitère le précédent établi par Barack Obama en 2011.

Sept ans après sa première campagne présidentielle, Hillary Clinton est encore plus qualifiée pour le poste de chef d’État. À son expérience de première dame des États-Unis et de asénatrice de l’État de New York s’ajoute celle de ministre des Affaires étrangères. « Qui plus est, elle entame sa campagne mieux préparée et, franchement, avec derrière elle un parti mieux préparé à la suivre », pense SimonSerfaty,politologue à l’Université Old Dominion deNorfolk en Virginie. Mais l’expérience n’est pas tout comme la première élection deBarackObama.HillaryClinton va devoir sortir de sa réserve, souvent interprétée comme de l’arrogance ou du louvoiement, pour définir une vision claire etenthousiasmante de ce que sa présidence apporterait.Le vent porteur

Outre son expérience et sa notoriété planétaire, ses meilleurs atouts dans cette campagne sont son sexe et ses rivaux. « Elle bénéficie d’un puissant vent porteur, celui des électrices qui veulent une femme pour président », explique Jules Witcover. « Elle bénéficie de la faiblesse de ses adversaires », dit Simon Serfaty.

« Hillary semble inévitable, car il n’y a aucun autre démocrate qui se soit déclaré et puisse vraiment rivaliser avec elle », concourt H. W.Brands, un professeur de l’Université du Texas queBarackObama invite depuis 2009 pour des dîners privés avec d’autres historiens de la présidence américaine.Des rivaux déclarés d’Hillary Clinton, Bernie Sanders est celui qui capte le mieux les préoccupations d’une partie de la base démocrate. « C’est un progressiste authentique, il parle vraiment du coeur du vieux Parti démocrate, celui qui remonte à Franklin Roosevelt, souligne Jules Witcover. Sa personnalité est plus franche que celle d’Hillary Clinton, il lui met la pression, il focalise son propos sur les inégalités ; son opposition catégorique à la guerre d’Irak est un plus, alors que Clinton avait voté pour avant de dire qu’elle avait fait là une erreur », poursuit l’auteur de Party of the People.

L’effet Sanders

Sur le terrain, Bernie Sanders attire plus la foule qu’Hillary Clinton. « Des petites foules », tempère Simon Serfaty, dont on compare surtout la campagne électorale à celle d’autres pays. Tout de même : 8000 personnes à Dallas et plus de 11 000 à Phoenix, c’est remarquable pour un candidat si tôt dans une présidentielle américaine. Dans la moyenne des sondages du 9 au 21 juillet, Bernie Sanders réunit 17 % des intentions de vote aux primaires, contre 4 % début avril.

L’historien H. W. Brands voit dans l’émergence de Bernie Sanders « un mouvement populiste, ancré récemment dans Occupy Wall Street, l’envie de reprendre les rênes du pays aux milieux financiers et à l’élite du parti, une réaction à ceux qui disent que Clinton est inévitable ».Bernie Sanders est un indépendant qui vote avec la minorité démocrate au Sénat. Il est aussi le seul politicien d’envergure nationale à se réclamer du « socialisme », un gros mot pour de nombreux Américains, mais une tendance relevant plus de la social-démocratie ici aux États-Unis.

Le sénateur aurait pu se présenter en tant qu’indépendant. En lançant sa campagne, il a indiqué qu’il est en lice « pour gagner » et qu’une candidature indépendante « coûterait trop cher ». Jules Witcover considère que la stratégie de Bernie Sanders est « la meilleure ». « Aux États-Unis, les partis tiers n’élisent pas de président, ils peuvent seulement dénier la présidence à un autre candidat, explique-t-il. Ross Perot est le candidat d’un parti tiers qui a remporté le plus de succès aux urnes, il a remporté 19 % des voix en 1992, mais aucun siège au collège électoral, ce qui a rendu son épopée futile », rappelle l’auteur. BernieSanders s’est sans doute souvenu aussi deRalphNader, qui obtint moins de 3 % des suffrages en 2000 comme candidat des Verts, mais qui fut accusé d’avoir facilité la victoire deGeorge W. Bush en prenant des voix à AlGore.Cependant, il est peu probable que M. Sanders ravisse l’investiture à Hillary Clinton. « Un soi-disant socialiste au Sénat des États-Unis, c’est une curiosité qu’on explore par curiosité sinon par intérêt, d’autant que c’est gratuit, c’est-à-dire sans conséquence. On écoutera donc Sanders cet hiver, mais on votera Clinton au printemps », prédit le politologue Simon Serfaty. Analyse semblable de l’historien H. W. Brands : « Sanders est un candidat protestataire comme Perot, beaucoup d’Américains ne veulent plus de la routine en politique. Il se peut que Sanders continue à grimper dans les sondages, mais au-delà d’un certain seuil, les gens se demanderont : veut-on vraiment d’un socialiste pour président ? » Pour Simon Serfaty comme pour H. W. Brands, le seul résultat que le sénateur peut espérer est « d’influencer vers la gauche les positions de Clinton », de « la forcer à prendre parti dans les dossiers et à soutenir au moins certaines de ses idées ».

 Un challenger absent Le candidat qui pourrait défier le mieux la fameuse « inévitabilité » d’Hillary Clinton n’est pas candidat. Il s’agit de Joseph Biden, vice-président de Barack Obama, ancien sénateur, ancien président des commissions sénatoriales des Affaires judiciaires et des Affaires étrangères, qui est aimé des démocrates, qui mêle expérience internationale et nationale, dont la notoriété égale celle de madame Clinton aux États-Unis et qui talonne M. Sanders dans les sondages sans être en lice. Il a évoqué publiquement la possibilité de se présenter, mais pas récemment. Jules Witcover, son biographe dans Joe Biden : A Life of Trial and Redemption (William Morrow and Company, 2010), ne croit pas à sa candidature. « Biden est l’un des individus les plus qualifiés pour la présidence, mais je doute qu’il se présente, à moins qu’Hillary Clinton abandonne la course pour une raison ou une autre, et s’il le faisait, il aurait peu de chances de remporter le scrutin présidentiel, estime-t-il. Biden voit bien la réalité : Clinton est trop forte pour lui et les républicains ont terni son image en le dépeignant comme un idiot prompt aux gaffes. »

Plus que M. Sanders, l’adversaire d’Hillary Clinton, c’est elle-même. Les principaux obstacles entre elle et l’investiture pourraient être la méfiance du peuple envers elle, son manque de talent politique naturel, ses mauvaises relations avec la presse, qui, comme le dit M. Serfaty, « lui cherchera la petite bête permettant de donner à la campagne démocrate le suspense qu’elle n’a pas autrement ». Pour Hillary Clinton, le risque majeur est que le doute sur son honnêteté ne sape l’impression que sa victoire à l’investiture démocrate et au scrutin présidentiel est inéluctable. Après tout, madame Clinton n’a jamais vraiment été testée par l’électorat, la seule élection qu’elle ait gagnée, le siège de sénateur de l’État de New York, lui ayant été servie sur un plateau d’argent par son parti.