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Guy Taillefer

L’accord sur le nucléaire jette les bases d’une transformation utile des relations régionales et internationales de l’Iran. Les avenues sont risquées autant que prometteuses. Mais que représente cette entente pour la société iranienne ? Non moins fondamentale est la question de savoir si l’accord du 14 juillet entrouvre la porte à la décrispation sociale du régime islamique, attendue par une grande partie de la population.

La rhétorique contre le « grand Satan » que sont les États-Unis et les diatribes démentielles contre « l’ennemi sioniste » n’ont pas faibli en Iran depuis la conclusion de l’accord de Vienne. Et ne faibliront pas de sitôt. Sur la place de la grande mosquée de Téhéran, alors que prenait fin le ramadan il y a une semaine, le sermon de l’ayatollah Ali Khamenei ne donnait aucun signe d’infléchissement. Il se trouve pourtant que sans l’assentiment du chef suprême, il aurait été impossible pour l’équipe de Mohammad Javad Zarif, ministre des Affaires extérieures du président « réformiste » Hassan Rohani, d’en arriver à cette entente historique avec les pays du « P5 + 1 » (États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni, plus l’Allemagne). Sa bénédiction était essentielle.

Dans l’immédiat, l’accord encadrant le programme nucléaire iranien contre la levée des sanctions qui étranglent le pays depuis dix ans constitue un indéniable succès politique pour le présidentRohani, élu en 2013 sur promesse de désenclaver le pays et de relancer son économie. La question est maintenant de savoir s’il lui sera permis, puisque la république iranienne est aussi dictature, de tenir ses autres promesses de libéralisation sociale. Les attentes — accès aux réseaux sociaux, levée des restrictions vestimentaires, libération desopposants, et plus particulièrement des leaders du mouvement environnemental — ont été clairement exprimées à Téhéran quand l’accord a été annoncé, alors que des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour célébrer la nouvelle. Il est pourtant loin d’être entendu que l’accord sur le nucléaire, ouvrant la porte à une normalisation des relations internationales de l’Iran, induise les réformes que revendique une grande partie de la société iranienne.Les durs du régime islamique, tenus en laisse par l’ayatollah Khamenei, jappent contre l’accord à des fins politiciennes et idéologiques, comme le font et le feront en écho les républicains au Congrès américain. Mais il est manifeste que les conservateurs iraniens ont fini par marcher sur leur orgueil national et leurs instincts antiaméricains pour se rendre à l’évidence que leur pérennité, à commencer par celle de l’establishment que forment les Gardiens de la révolution, passait par cette entente.

Des instincts qui ne sont pas sans fondement, du reste : du coup d’État orchestré par laCIA en 1953 contre le premier ministre progressisteMohammadMossadegh au soutien apporté àSaddamHussein pendant la guerre Iran-Irak dans les années 1980, en passant par l’appui donné au régime répressif du shah, les Iraniens n’ont pas entièrement tort d’éprouver du ressentiment à l’égard des États-Unis…Dix ans d’embargo international auraient coûté à l’Iran près de 500 milliards de dollars, soit une année de PIB. Le marché de l’emploi en a terriblement souffert. Avec la levée des sanctions économiques, ce sont des avoirs iraniens oscillant entre 100 et 150 milliards, liés pour l’essentiel à la vente de pétrole et bloqués en Chine pour une large part, qui seront libérés d’ici le début de 2016. Téhéran affirme, et Washington en fait le pari, que l’argent qui se remettra à couler dans les veines de l’Iran servira moins à faire la guerre dans la région qu’à combler de pressants besoins dans les domaines du logement, du transport, de l’agroalimentaire, des soins de santé…

Le monde sunnite, à commencer par le régime fossilisé de l’Arabie saoudite, se dit convaincu que l’Iran utilisera avant tout ces fonds pour s’affirmer davantage sur le plan régional. La menace militaire que représente l’Iran est en fait exagérée, d’autant que l’accord de Vienne lui interdit de posséder la bombe atomique. À l’heure actuelle, les pays sunnites dépensent collectivement près de neuf fois plus en défense que Téhéran, dont le budget militaire annuel est de 15 milliards (Israël y consacre pour sa part 18 milliards… et possède l’arme nucléaire).Le fait est que la théocratie iranienne vit depuis une vingtaine d’années une crise de légitimité que la répression des revendications sociales a eu de plus en plus de mal à contenir. La conversion des mollahs à la nécessité de cet accord est pragmatique. C’est sous l’impulsion du modéré Rohani qu’il a été conclu, mais ce sont les durs du régime qui, tenant les leviers du pouvoir, y trouvent leur compte.

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