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De hauts responsables de la coalition internationale qui lutte contre le groupe État islamique (EI), et dont le Canada fait partie, se réuniront jeudi à Québec, a confirmé mardi le ministère canadien des Affaires étrangères. La rencontre permettra « de faire le point sur les efforts déployés par la coalition jusqu’à maintenant », alors que les frappes sur le terrain ont pris un nouveau virage la semaine dernière avec l’implication de la Turquie.
Ce sommet, qui se tiendra à huis clos et auquel participera le ministre Rob Nicholson, devrait réunir des délégués « de plus de 20 pays dont les contributions à la lutte contre EI (en troupes ou comme acteurs régionaux) sont parmi les plus importantes, ainsi que des représentants de l’Union européenne et des Nations unies », a affirmé parcourriel le porte-parole du ministère canadien.Ce dernier n’était toutefois pas en mesure de révéler la liste des pays participants, notamment pour des raisons de sécurité.
Le général à la retraiteJohnAllen, nommé par le président américainBarackObama pour former la coalition, devrait toutefois être présent, selon des informations obtenues par l’agence Reuters.Toujours selon ces sources, la rencontre de jeudi mettra l’accent tant sur les aspects politiques que militaires de la lutte contre le groupe EI. Les frappes aériennes menées par les forces armées canadiennes et américaines en Syrie et en Irak, que les puissances occidentales jugent insuffisantes pour enrayer complètement la menace terroriste, devraient être au coeur des discussions.
L’OTAN solidaire, mais prudente L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’est réunie d’urgence mardi pour discuter des derniers développements dans la région et des enjeux sécuritaires entourant la récente implication de la Turquie dans la lutte contre le groupe EI.
C’est cette dernière qui avait réclamé la tenue d’une rencontre pour discuter de ses inquiétudes sur le terrorisme et de l’intervention militaire privilégiée par les autorités turques pour répondre à cette menace. La Turquie prend pour cible le groupe arméEI tout comme le Parti des travailleurs duKurdistan (PKK).Les ambassadeurs de l’OTAN ont indiqué dans un communiqué après la rencontre qu’ils « condamnaient fortement » les attaques menées par EI contre la Turquie, offrant leurs condoléances aux victimes des récents attentats.
Selon eux, le terrorisme constitue une menace directe sur les membres de l’OTAN et sur la stabilité internationale. Le danger n’a ni frontière, ni nationalité, ni religion, poursuivent-ils.Or, malgré cette apparence d’unité dans le communiqué conjoint, derrière les portes closes, les représentants ont demandé à la Turquie de faire preuve de retenue dans son intervention militaire contre le PKK, menée en parallèle aux frappes contre EI. Ils auraient aussi insisté sur la poursuite du processus de paix avec les Kurdes, selon un porte-parole qui a parlé à l’Agence France-Presse sous le couvert de l’anonymat.
Selon cette même source, la Turquie aurait insisté sur son « droit de se défendre ».Revirement turc
La semaine dernière, le gouvernement turc a autorisé les premiers bombardements contre des positionsdjihadistes en Syrie, après des mois à ignorer les demandes répétées des membres de la coalition internationale. Ces premiers raids aériens contre le groupe extrémiste se sont couplés d’une reprise des hostilités à l’endroit des Kurdes, après une trêve de presque trois ans.« Il s’agit d’un virage stratégique, admet Jean Marcou, directeur des relations internationales à l’Institut d’études politiques de Grenoble, mais qui n’est pas aussi important qu’il n’y paraît. » En entrevue avec Le Devoir, le chercheur indique que cette récente décision vient tout de même « redorer le blason de la Turquie vis-à-vis ses alliés occidentaux », dont les États-Unis, surtout depuis que l’Iran a conclu un accord au sujet du nucléaire.
« Il faut comprendre que ce nouvel accord repositionne l’Iran — qui est un des principaux ennemis du groupe EI — par rapport aux Américains, soutient-il. La Turquie ne veut pas être en reste. »Le changement de ton des djihadistes par rapport à la Turquie dans les dernières semaines et les attentats meurtriers survenus au cours de la même période, et revendiqués par la formation islamiste, auraient également contribué à la décision du pays.
Politique intérieure Selon M. Marcou, la principale motivation de la Turquie ne serait toutefois pas un enjeu sécuritaire. « C’est un facteur,mais il ne faudrait surtout pas perdre de vue la dimension intérieure du problème », insiste celui qui collabore aussi à la Chaire Raoul-Dandurand. Les derniers rebondissements de la politique intérieure joueraient un rôle crucial dans le repositionnement militaire turc.
« Le gouvernement actuel est intérimaire et le pays tout entier est dans l’attente de la formation d’un gouvernement de coalition, explique-t-il. Et avec la création de celui-ci, l’AKP [le parti du président Recep Tayyip Erdogan, qui a perdu sa majorité lors des législatives de juin dernier] a tout à perdre. » Le premier ministre, chargé de mettre sur pied ladite coalition, en est à sa troisième tentative. S’il n’y parvient pas, des élections précipitées seront très certainement déclenchées à l’automne.En renvoyant dos à dos le groupe EI et le PKK, le gouvernement turc vient alimenter les tensions à l’intérieur des frontières du pays, soulève le chercheur, ce qui, additionné aux essais infructueux de mettre une coalition sur pied, donne l’avantage au président Erdogan. À la suite de la réunion de l’OTAN, ce dernier a d’ailleurs menacé les députés kurdes, les avertissant que leur immunité parlementaire pourrait leur être retirée advenant qu’ils maintiennent des relations avec le PKK.
Pour le professeur, la marginalisation des députés kurdes du Parti démocratique du peuple (HDO) — formation qui a franchi pour une première fois la barre des 10 % imposée aux partis pour obtenir un siège sur les bancs du Parlement — place Erdogan comme la solution de la « stabilité ».