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Finalement, Laurent Fabius s’est rendu à Téhéran.
Nicolas Gauthier , Journaliste, écrivain

Finalement, Laurent Fabius s’est rendu à Téhéran, ou à Canossa, c’est selon. Précédé par une campagne de presse des plus défavorables dans une partie des médias locaux, qui ont même réactivé un vieux fantôme : celui de l’affaire du sang contaminé, entre autres cadavres extirpés du placard.

Pour le reste, la traditionnelle vulgate du Quai d’Orsay et de son actuel locataire : « Objectivement, oui. En Irak, l’Iran chiite lutte contre Daech avec des troupes. […] Il n’y a pas de coalition. Ils veulent lutter contre le terrorisme de Daech mais une coordination des forces, une coordination commune, non. »

Sur place, et une fois ces propos décryptés, l’intelligence et le pragmatisme de Laurent Fabius sont aussi salués en Perse. Et si Fabius ne veut pas de « coalition », c’est aussi parce qu’il préfère une « collaboration » de terrain. En effet, lutter contre Daech avec le « soutien » de l’Arabie saoudite, très peu pour lui ; et pour l’Élysée, soit dit en passant, malgré d’autres alliances plus discrètes.

Laurent Fabius est venu seul, cette fois, mais une centaine de chefs d’entreprise français iront en Iran en septembre ; c’est bien le moins, histoire de rattraper le temps perdu et les occasions gâchées. Et là, douche froide, écossaise ou… iranienne ? Dans la dernière édition du Journal du dimanche, ce très instructif entretien avec Ali Ahani, ambassadeur iranien en France. L’homme, francophone et francophile, déjà interrogé en ces colonnes, prévient : « Les entreprises françaises vont devoir faire plus d’efforts que les autres… » Ce titre, choisi par cet hebdomadaire dominical, donne une vision trop abrupte de la réalité, et c’est plutôt ceci qu’il faut lire avec attention : « Regardez la relation entre l’Iran et la France mais aussi avec les autres pays occidentaux : elle a été influencée depuis des années par ce dossier du nucléaire. Cela a bloqué toute coopération. Par exemple, notre opinion publique a été surprise de l’attitude de PSA Peugeot Citroën. Sous la pression de General Motors, ce groupe a arrêté de façon très inattendue une coopération vieille de vingt-cinq ans. Cette attitude va obliger les partenaires iraniens à réfléchir à deux fois avant de signer un nouveau contrat avec les entreprises françaises. »

Défiance ? Non. Mais légitime méfiance, peut-être… Car en la matière, notre pays n’est pas l’un des plus fiables au monde. Déjà, l’affaire Eurodif a donné le ton. Eurodif ? Une joint-venture, signée à la fin des années 70 du siècle dernier, entre Paris et Téhéran visant, déjà, à une coopération franco-iranienne sur le nucléaire civil, coopération alors rompue unilatéralement par Valéry Giscard d’Estaing. La France aurait été à l’époque reçue sur tapis rouge ; mais, coincée par son ancienne alliance conclue avec les pays du golfe Persique, VGE fit capoter l’affaire, avec les conséquences qu’on sait.

Puis, nos démêlés avec la Russie… C’est-à-dire nos deux navires censés être vendus à Moscou, et aujourd’hui en cale sèche en Normandie, alors que les Anglais n’en finissent plus de vendre des armes à Vladimir Poutine…

Quand il y a un petit quelque chose de pourri au royaume du Danemark et que Rome n’est plus dans Rome, cela peut aussi signifier qu’ici, chez nous, un truc ne tourne pas rond. Et qu’il est légitime de se poser cette simple question : peut-on encore faire confiance à la parole de la France ? Vaste question.

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