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Ukraine. L’accord d’hier n’efface que 5,5% de la dette publique. Qui se monte au minimum à 65,4 milliards de dollars.
Rarement titres (et contenus) auront été plus trompeurs. « L’Ukraine vient de remporter une énorme décote 20% sur sa dette de 18 milliards de dollar » (CNBC), « La dette souveraine de l’Ukraine, estimée à 19 milliards de dollars, sera réduite de 20%… » (BBC) ou encore « Franklin Templeton et trois autres institutions financières américaines détiennent les deux tiers, soit 8,9 milliards de dollars, de la dette publique ukrainienne » (Agences).
La dette publique ukrainienne serait donc de 18 à 19 milliards de dollars? Aucunement.
Elle était de 51,5 milliards de dollars (1116 milliards de grivnas) en 2014 et le FMI la projette à 80,4 milliards (1742 milliards de grivnas) pour l’année en cours. Selon les chiffres officiels de la Banque Nationale d’Ukraine (NBU), la dette publique et garantie par l’état a augmenté de 28,8% sur un an et se montait déjà à 1417 milliards de grivnas (soit 65,4 milliards de dollars) fin avril.
La confusion que l’on retrouve un peu partout émane probablement d’une lecture trop rapide du rapport du FMI publié le 31 juillet dans lequel l’entité explique le traitement à appliquer à la restructuration de la dette. Mais cette restructuration ne concerne qu’une partie de la dette totale. Sous le titre Opération sur la dette (Debt operation), le FMI traite des 22,7 milliards de dette publique (y compris les entreprises d’état) qui font partie des montants sur lesquels la négociation a eu lieu, dont 19,3 milliards d’Eurobonds souverains et autres dettes souveraines. Les 8,9 milliards des institutions américaines mentionnés plus haut représentent 46% de ce dernier montant et non les deux tiers de la dette publique ukrainienne.
Dans son rapport, le FMI affirme pourtant bien que la dette ukrainienne dépassera 90% du PIB qui se monte à 85 milliards de dollars (1850 milliards de grivnas à prix courant). Sur la base des 65,4 milliards de dollars reconnus de la NBU, l’effacement de 3,6 milliards de dollars ne représente en fait que 5.5% de la dette publique totale et environ 9% de la dette publique extérieure.
Au-delà des mélanges de chiffres et des mérites de l’accord (dont celui non négligeable d’éviter le défaut de paiement), il importe davantage de revenir sur le fond de la situation économique ukrainienne et de sa détérioration.
Le produit intérieur brut ukrainien avait plongé de 6,83% en 2014 (en termes constants) et devrait faiblir encore de 5,5% cette année selon le FMI. La Banque Nationale d’Ukraine (NBU) est plus pessimiste encore et son rapport de juin fait état d’une croissance négative de 9,5% du PIB. Toujours selon la NBU, il s’était contracté de 17,2% au premier trimestre 2015 par rapport au même trimestre en 2014.
En parallèle, la dette publique a cru de 87% en 2014 et de 56% en 2015 (ce dernier chiffre étant une estimation). Résultat, le rapport dette publique sur PIB est passé de 40,6% en 2013 à environ 94%. Une situation peu réjouissante surtout si l’on examine la proportion importante de dette publique externe, soit environ 60% (avant la réduction) et les nouveaux taux renégociés de 7,75%. Par ailleurs, la dette extérieure du pays est projetée à 150% du PIB pour 2015. La balance des paiements était déficitaire de 13,3 milliards de dollars en 2014 contre un excédent de 2 milliards en 2013.
L’inflation fait rage et s’aggrave, accélérant de 24,9% en décembre à 58,4% en mai. La projection de juin de la NBU est de 48% sur 2015. Le grivna s’est déprécié de manière affolante. De 48% en 2014 et de près de 30% supplémentaire déjà cette année. La devise avait repris quelques couleurs au lendemain de l’accord de Minsk (+46% entre le 24 février et le 3 mars) mais stagne depuis. Pour stabiliser la devise, le gouverneur de la Banque Centrale ukrainienne, Valeria Gontareva avait relevé le taux directeur à 30% début mars. Elle vient de le redescendre à 27% mercredi. Son objectif déclaré est de diminuer l’inflation à 5% en 2019 mais on est encore loin du compte.
La demande intérieure reste atone, avec une consommation privée en baisse due à la réduction substantielle des salaires réels, à un chômage élevé, et à une activité de crédit affaiblie par une politique budgétaire rigoureuse.La situation du secteur bancaire se fragilise. Les dépôts privés se sont effondrés et la liste des faillites bancaires publiée par la NBU fait état de 70 établissements (à avril).