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Tribune publiée dans le journal Le Figaro
Les temps que nous vivons sont ceux d’un cruel rappel à la réalité. La réalité des réfugiés qui fuient les zones de guerre, et qui meurent en nombre en traversant la méditerranée à la recherche d’un asile sûr. Ces morts sont un scandale, pour la conscience humaine, pour les Etats des pays d’accueil qui peinent à définir les politiques utiles, mais aussi pour les autorités publiques des pays d’origine, incapables quand elles ne sont pas criminelles, et qui font le malheur de leurs peuples. La réalité de l’Occident, de l’Europe, de la France, paralysées par la peur et les divisions, gênées par l’absence de hauteur de vue et l’électoralisme de nombre de responsables politiques, mais dont les carences de tous ordres ne doivent pas faire oublier les élans de générosité. Oui, c’est un moment de vérité qu’il faut aborder dans un esprit de lucidité et de grandeur.
L’Europe doit faire face à un afflux de réfugiés. Le mot de « migrants » est ici impropre. La grande masse de ceux qui traversent la méditerranée sur des embarcations de fortune ne sont pas des demandeurs d’emploi à la recherche d’une vie meilleure, ni des adeptes d’un « tourisme social » dont la mort d’Aylan devrait empêcher a jamais d’utiliser la formule indigne. Ils viennent de Syrie, d’Irak, d’Erythrée, du Soudan, d’Afghanistan. Ils fuient la guerre, la barbarie. Ils n’ont pas d’autre choix. Et ils ne souhaitent pas d’abord un refuge matériel, mais d’être accueillis dans des pays qui mettent au dessus de tout, contrairement aux leurs, les droits imprescriptibles de la personne à vivre libre et dans la dignité. Ne nous donnons pas de faux prétextes pour refuser de les entendre, et ne décevons pas leur espérance, qui est aussi un hommage à ce que génération après génération, au prix de tant d’efforts et de sacrifices, nous avons réussi a bâtir.
Depuis un an, j’alerte le gouvernement sur les limites de sa stratégie diplomatique et militaire face au conflit qui meurtrit la Syrie et l’Irak. Un an que je l’exhorte à prendre des initiatives pour bâtir une vraie coalition internationale. Un an aussi que je l’avertis sur les tragédies humaines de ce conflit civil qui s’enlise. Dans les camps de réfugiés, j’ai entendu les témoignages horrifiés de ceux qui fuient la terreur des intégristes. Parmi eux, les chrétiens d’Orient qui appellent la France au secours.
Face au drame humanitaire, l’Union européenne et ses Etats agissent avec retard, hésitations, en ordre dispersé, tétanisés à l’idée de convaincre leurs opinions que le droit d’asile constitue un droit sacré. La France a été vacillante sur le sujet, et c’est donc l’Allemagne qui a courageusement intimé à l’Europe de prendre ses responsabilités afin d’être fidèle à ses valeurs.
Il a fallu du temps pour que notre gouvernement se réveille et s’élève au-dessus des crispations de notre pays qui craint la poussée des flux migratoires. L’immigration irrégulière et les échecs de l’intégration nourrissent dans l’opinion un amalgame terrible concernant les étrangers. Ceux qui nous demandent honnêtement l’asile n’ont pourtant rien à voir avec les migrants économiques et ceux qui, irrégulièrement, défient nos lois et notre hospitalité. Les premiers doivent âtre accueillis et protégés, les autres, arrêtés et renvoyés dans leurs pays.
Je combats cet amalgame exploité par ceux qui veulent que notre pays soit fermé à tous, y compris à ceux qui voient en lui le refuge de leur vie. Que serait l’âme de la France sans ce droit d’asile qui est aussi vieux que la chrétienté, aussi ancien que notre république qui a placé la fraternité au cœur de sa devise.
Nos difficultés économiques ne peuvent justifier notre absence de principes éthiques. La France a sa grandeur. Les voix aujourd’hui trop dispersées des Républicains devraient être claires, unies : nous devons protéger et accueillir ceux qui fuient la guerre et la mort.
L’Union européenne doit fédérer ses efforts et se doter de nouvelles règles de répartition des demandeurs d’asile. Le règlement de Dublin date d’un quart de siècle. Il ne faut pas hésiter à renégocier un règlement obsolète.
En attendant, la France s’honorerait de suspendre l’application du règlement de Dublin pour les demandeurs d’asile de nationalité syrienne qu’il est inhumain de prétendre renvoyer en Italie ou en Grèce au seul motif que c’est par ces pays qu’ils sont entrés dans l’Union européenne.
Plus que jamais, la distinction entre demandeurs d’asile et migrants économiques est pertinente. Mais cette distinction n’a de sens que si les demandes d’asiles sont instruites rapidement. Or tel n’est pas le cas chez nous où les délais d’examen des dossiers atteignent deux ans. Le Parlement vient de voter une loi pour réduire ce délai, mais elle est d’ores et déjà dépassée face à l’afflux des demandeurs d’asile.
Dès le printemps, j’avais proposé que ces demandes d’asile puissent aussi être instruites dans les pays de transit ou de premier refuge que sont la Turquie, le Liban, la Jordanie. Je regrette qu’aucune initiative n’ait été prise en ce sens par le gouvernement en lien avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et les gouvernements des pays concernés.
L’accueil des demandeurs d’asile n’a de sens que si les déboutés sont reconduits rapidement à la frontière. Or rien n’est fait pour organiser sérieusement l’éloignement de ceux qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié.
Il y a l’urgence humanitaire. Mais le cœur du drame est en Syrie et en Irak, dans une guerre civile qui n’en finit pas et que nos bombardements aériens ne résoudront pas. Seule une coalition internationale associant la Russie et l’Iran qui ont le pouvoir de négocier avec le régime de Damas et d’agir avec les chiites peut encore changer la donne. Il est temps d’enrôler tous les pays de la région et de les conduire à agir ensemble pour démanteler l’Etat Islamique et ses réseaux.
Si le fanatisme de l’Etat islamique est vraiment notre principal adversaire et puisqu’il est largement à la source des drames humanitaires qui nous révoltent, alors il est temps de mettre tous les moyens pour l’éradiquer et créer les conditions de la stabilité au Moyen Orient.
Nous sommes à un moment de vérité, l’un de ceux ou l’on peut juger de la capacité d’un peuple et d’une classe politique a considérer la réalité en face, et de vivre a la hauteur des idéaux qui fondent un pays. On voit une « porte de l’asile » à Notre Dame de Paris. La déclaration des droits a donné sa forme moderne au principe ancien. Nous n’avons rien de plus précieux. J’espère que nous en serons dignes.