Étiquettes

, ,

Jean-Sébastien Lefebvre

Le “mieux légiférer” prôné par la Commission, qui se traduit par moins de lois, est en train d’assécher l’activité parlementaire. Un mécontentement se fait sentir chez les députés, surtout à gauche, qui se sentent dépossédés.

Devant le Parlement européen, à Strasbourg All rights reserved

Une session plénière de rentrée en apparence comme les autres. Des quatre coins d’Europe, les députés affluent, suivis par la caravane bruxelloise des assistants et fonctionnaires.

Dans les couloirs à l’agencement chaotique du bâtiment strasbourgeois, les conversations tournent avant tout autour du discours sur l’état de l’Union du président de la Commission européenne, prévu le mercredi 9 septembre, avec en filigrane, toujours, la question de l’afflux de réfugiés.

Des tuyaux qui se vident

Mais derrière cette agitation, un rapide coup d’œil à l’agenda interpelle : que vont voter les députés ? Sur les 36 textes soumis à leur approbation, seuls trois sont de futures lois. Le reste correspond à 21 rapports sans aucune valeur législative : ils sont de simples initiatives des députés. On dénombre aussi quatre résolutions, une levée d’immunité parlementaire, et sept avis consultatifs sur des accords commerciaux bilatéraux.

“Voilà un des résultats du mieux légiférer de Jean-Claude Juncker ! s’exclame le député européen écologiste, Yannick Jadot. Et les grands groupes politiques s’accommodent très bien de la situation, ils ne font rien pour la changer. ”

Lors de sa prise de fonction en novembre 2014, le nouveau président de la Commission européenne s’est engagé à produire moins de lois que son prédécesseur, mais de meilleure qualité. Le changement de cap a été tellement radical que, 10 mois plus tard, les tuyaux se vident. Les grandes réformes promises sur le marché unique du numérique, l’union de l’énergie ou encore la fiscalité, sont encore en cours d’élaboration.

Et les conséquences du « mieux légiférer » pourraient ne pas s’arrêter là. L’idée de demander la réalisation d’études d’impact pour chaque amendement déposé par un député, s’il est susceptible d’avoir des conséquences législatives, est discutée à la Commission.

Au point que certains députés ont peur d’être dépossédés.

“La Commission veut mettre des verrous partout, limiter notre action”, dénonce Virgine Rozière, de la délégation socialiste française.

Signe que le Parlement anticipe une activité plus faible qu’auparavant, le calendrier de travail pour 2016 prévoit 12 semaines d’activité en circonscription pour les députés européens. Contre 10 en 2015.

Travail plus fouillé

Du côté des services techniques du Parlement, on met en perspective cette impression de chômage technique. Selon les statistiques officielles, la première année de leur mandat (juillet 2014, juillet 2015), les députés ont voté 43 législations, contre 31 pour la même période, de 2009 à 2010. Il s’agit, dans les deux cas, surtout de reliquats de la législature précédente.

Mais si l’on compare le travail des élus entre les derniers mois de la mandature 2009-2014, la différence est effectivement sans appel avec… 274 textes législatifs approuvés de juillet 2013 à juillet 2014. Cela correspond à une chute de 85 % d’une année sur l’autre.

« Paradoxalement, nous remarquons que les députés prennent le temps d’aller plus en profondeur dans les textes ou de surveiller de plus près ce que fait la Commission européenne avec les actes délégués [ndlr : l’équivalent des décrets pour l’UE] », fait cependant remarquer une source européenne.

Souvenirs d’enfance

En fonction des sujets dont ils s’occupent, certains députés s’en sortent aussi mieux que d’autres. Ainsi, Dominique Riquet, député UDI expert des transports, n’a pas à se plaindre.

“Jusqu’à présent, nous avons été occupés par la mise en place du plan Juncker, et maintenant, le dossier de la réforme ferroviaire [ndlr : la libéralisation du secteur] revient, avec la négociation avec les États”.

Optimiste, l’élu du Nord de la France “mise ensuite sur les propositions législatives contre le dumping social, attendues pour le début 2016 et qui concerneront le secteur routier”.

Chez les socialistes, l’agenda politique à haut risque de l’UE rend sceptique sur l’arrivée de nouvelles réformes.

“Avec la perspective du débat sur le Brexit, dont l’une des raisons serait la surabondance de textes législatifs européens, je doute que Jean-Claude Juncker décide soudainement de relancer la machine”, analyse la chef de délégation PS, Pervenche Berès.

Pour le député LR, Alain Lamassoure, dont c’est le quatrième mandat, la situation actuelle devrait aussi être l’occasion d’une remise en cause.

“Le Parlement européen souffre de ses souvenirs d’enfance, d’avant le traité de Lisbonne, quand il n’avait presque pas de pouvoir. Il était alors une sorte de forum, qui s’exprimait sur tout, même ce qui ne concernait pas ses compétences. Il a gardé cette habitude, de vouloir tout couvrir. Peut-être faudrait-il revoir son organisation. Nous avons 22 commissions différentes, le nombre pourrait très bien être revu à la baisse. ”

Trop de temps

Mais la sensation de vide est aussi entretenue par l’éternelle guéguerre entre partisans et opposants au siège strasbourgeois du Parlement européen. En 2015, pas moins de dix mini-sessions ont été programmées. Elles se déroulent à Bruxelles et sont censées exister uniquement en cas de surcharge des plénières traditionnelles, qui se déroulent en Alsace.

Et, malgré un agenda qui est très loin de l’embouteillage législatif, les mini-sessions ont toutes été maintenues.

“Les opposants à Strasbourg ne veulent pas les abandonner, à chaque réunion plénière à Bruxelles, ils estiment marquer des points”, lâche un officiel.

La décision de les supprimer appartient à la conférence des présidents de groupe parlementaire. Or, le défenseur historique du siège de Strasbourg, l’ancien président des députés PPE Joseph Daul, n’est plus là. Le président du Parlement Martin Schulz n’a donc plus la même pression sur le sujet.

https://www.contexte.com/