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  • Pourquoi intervention militaire Syrie impossible

    Pourquoi une intervention militaire en Syrie est impossible

Agiter, comme certains dirigeants politiques, l’idée d’une intervention au sol en Syrie procède au mieux de l’ignorance, au pire du calcul électoraliste. On ne peut répondre au califat arabe par des réflexes impériaux.

Pour comprendre la tragédie syrienne, il convient, en citant Stefan Zweig, de parler de « confusion des sentiments ». Cette confusion est tout autant politique et stratégique que diplomatique et culturelle. Cette confusion commence avec le statut du régime toujours en place à Damas. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire aujourd’hui, Assad ne fait pas partie de la solution, il fait partie du problème. De fait, il est au point de départ de celui-ci. Les Syriens qui partent aujourd’hui par dizaines de milliers vers l’Europe ne fuient pas seulement les massacres perpétrés par Daech, mais les bombardements contre sa population du régime Assad. Ces bombardements succèdent à une politique de répression particulièrement inhumaine et cruelle qui est le déclencheur de la guerre civile. De ce point de vue, il convient de dire, sur un plan éthique : « Daech-Assad, même combat. » Il existe une même volonté délibérée de part et d’autre de terroriser et de détruire. On ne peut donc rêver de s’appuyer sur l’un pour résister et affaiblir l’autre.

La deuxième confusion procède de la première. Intervenir militairement en Syrie ne répond pas aux problèmes des réfugiés qui sont déjà partis et ne sont pas prêts de revenir. La seule intervention concevable, aérienne, peut se révéler utile pour contenir les avancées de Daech, elle ne permettra pas à elle seule d’influer de manière décisive sur le sort des armes. Et une intervention militaire avec l’envoi d’hommes sur le terrain n’est tout simplement pas envisageable. Ceux qui agitent ce scénario, comme pour justifier leur refus d’ouvrir les frontières de leur pays aux réfugiés, nous mentent ou se mentent à eux-mêmes. Une intervention américaine sur le terrain est exclue, quoi que puisse dire, dans le feu de la campagne pour la présidentielle, tel ou tel candidat républicain. Or, sans les Etats-Unis, aucune intervention sur le terrain n’est possible. Il ne faut ni s’en indigner ni songer à renverser le cours de l’histoire. Il en est ainsi.

La France et la Grande-Bretagne, les deux seules puissances européennes qui possèdent une tradition interventionniste, peuvent envoyer des drones pour éliminer sélectivement des cibles ou procéder à des frappes chirurgicales plus conventionnelles. Elles n’iront pas plus loin. Elles n’en ont ni la volonté ni les moyens. La Turquie, quant à elle, s’inquiète avant tout d’une escalade de la violence avec les Kurdes sur son propre territoire.

La troisième confusion est d’ordre diplomatique. Il n’y a pas de solution négociée du conflit à court ou moyen terme. La Russie et l’Iran poursuivent des objectifs qui ne sont pas et ne deviendront jamais les nôtres. Moscou entend profiter de la frilosité nouvelle des Etats-Unis en matière d’usage de la force et des divisions profondes de l’Europe sur la question des réfugiés. C’est à l’est de l’Europe que, traditionnellement, pour des raisons historiques et géographiques, on se méfie le plus de la Russie. Mais c’est aussi à l’est de l’Europe que l’on défend le plus l’idée d’une Europe chrétienne face à l’afflux de tous ceux qui sont davantage perçus comme une menace identitaire que comme une chance historique.

Moscou entend compenser sur les plans diplomatique et stratégique ce que le pays perd sur le plan économique avec la chute brutale du prix des hydrocarbures. Téhéran a un double langage délibéré, comme si son ambition régionale grandissante avait pour but de compenser sa modération sur le plan nucléaire.

Ce n’est pas parce que des armes et des forces, russes et chiites (directement iraniennes ou pas), renforcent le régime d’Assad que nous devons nous rallier à une politique qui serait non seulement contraire à nos valeurs, mais aussi à nos intérêts.

La quatrième confusion est plus fondamentale encore, car de nature culturelle. Daech est né de la rencontre entre la culture d’humiliation du monde arabo-musulman et le sentiment de désespoir des officiers sunnites –  le noyau de l’armée de Saddam Hussein – qu’un proconsul américain a eu l’impudence, fondée sur l’inculture, de renvoyer chez eux au lendemain de la défaite de Saddam.

On ne peut répondre aux rêves du califat arabe par des réflexesi mpériaux qui mettent l’accent sur les aspects les plus contestables de notre héritage historique. C’est non seulement anachronique, mais c’est également contre-productif. Introduire un peu de clarté sur la question syrienne implique : de faire plus sur le terrain en Syrie tout comme en Irak, par une multiplication de frappes aériennes ; de faire plus sur le plan humanitaire, en acheminant des hommes et des moyens dans les camps de réfugiés qui explosent aux frontières de la Syrie comme de l’Irak ; de faire plus en Europe même pour faciliter l’accueil et l’intégration des réfugiés. Et ces trois pistes doivent être suivies de manière concomitante. Face à la tragédie syrienne, une vision stratégique du type « café du commerce » ne saurait servir d’alibi à des visées électoralistes fondées sur des réflexes protectionnistes.

Au nom d’un conflit de civilisations encore hypothétique, ne perdons pas de vue qu’il existe un conflit de valeurs, bien réel celui-là. Se résigner à donner son soutien à des régimes autoritaires qui n’hésitent pas à massacrer leurs peuples n’est pas, ne peut devenir le début d’une politique, basée sur la résignation ou, pire, sur le calcul. Face à la démagogie, il n’existe qu’une seule arme : la pédagogie. Il est plus facile de l’exercer quand on ne se met pas en contradiction avec ses propres valeurs.

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